Livre et numérique sont-ils définitivement ennemis ? On dit souvent du second qu’il enterrera le premier. Et en se faisant expliquer le fonctionnement de l’étrange machine présentée hier dans les locaux de la bibliothèque municipale, on pourrait être tenté de le croire. Imaginez : sur la base de 600 € d’investisse ment maximum, ce prototype est capable de scanner 700 pages en une heure, avant de les traiter de telle sorte qu’elles apparaissent sous forme d’un fichier adapté à une liseuse…
On pourrait s’interroger sur cette apparition inattendue, précisément dans ce temple consacré à l’objet livre qu’est censé être une bibliothèque. Et pourtant, nul le raison d’y voir une hérésie. Moins encore une provocation. Benjamin Sonntag, informaticien chevronné, et bidouilleur de l’appareil en question, est même un grand amateur de livres, qui plus est propriétaire d’éditions originales de Jules Vernes.
Benjamin Sonntag est aussi directeur technique à Octopuce et cofondateur de La Quadrature du Net (association de défense des droits et libertés du citoyen sur internet) et à ce titre un grand partageur. Il est de ces hommes et femmes qui croient en la mise en commun des savoirs et des enthousiasmes sur la toile.
Partage et sauvegarde
« Sur les forums, circulaient depuis longtemps des idées pour scanner les livres », explique ce militant. « Entre celui qui se contentait de faire une photo sous une plaque de verre, et le travail à la chaîne avec aspirateur de pages effectué par Google, il y avait des solutions intermédiaires. Un jour, l’un d’entre nous a réuni toutes les bonnes idées en ce scanner particulier, libre de droit. » Benjamin avait donc tout le loisir de s’emparer des plans, de leur apporter ses améliorations, et d’y ajouter un logiciel de sa propre conception. « Il en existait déjà un mais mis au point par des geeks. À moins d’avoir fait bac + 12, on ne s’en sortait pas. » Ce fut son apport à la communauté. Quiconque veut les plans de la machine et du logiciel n’a plus qu’à se servir à présent.
Ce prototype est d’ailleurs mis à disposition dans les locaux parisiens, où tout un chacun peut venir scanner n’importe quel ouvrage, dans la limite de la législation.
Une balancelle accueille le livre ouvert à 90° (évitant ainsi d’être aplati), deux appareils photos enregistrent les deux pages simultanément, et on passe aux suivantes. L’enfance de l’art.
Partage et sauvegarde, ainsi peut-on résumer l’état d’esprit du jeune trentenaire parisien, et de son hôtesse nancéienne, Chantal Bernard-Putz, présidente de l’association Nancy Numérique qui a initié cette démonstration au sein de la bibliothèque. D’abord à l’usage des pros, puis du grand public.
Parmi les pros, des archivistes, mais aussi des bibliothécaires pas forcément effarouchés qu’on trouve moyen d’apporter le livre au lecteur, sur son écran, plutôt que de faire venir l’homme aux livres. Restera le travail de médiation, et de conservation. Du moins le débat est-il ouvert, de même que celui sur l’approche du livre comme bien commun. Que voilà beau défi pour l’avenir du bouquin !
http://www.laquadrature.net/files/rp/20140119%20_%20Est%20Republicain%20_%20Le%20scanner%20qui%20avale%20le%20livre%20_%20bs.pdf