[ActuaLitté] Réforme du droit d’auteur : les Creative Commons, créatifs, ensemble

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Article de Lionel Maurel, co-fondateur de La Quadrature du Net, publié sur le site d’ActuaLitté.

La fondation Creative Commons vient de publier un document montrant son engagement pour que l’on parvienne à une révision du droit d’auteur. Depuis leur création en 2001, ces licences tentent d’offrir une alternative au modèle strict du droit d’auteur, au travers de différentes solutions permettant des usages commerciaux, gratuits, acceptant ou non la modification de l’oeuvre, etc. Si le modèle des Creative Commons apporte un souffle d’air, il n’est cependant en rien une solution définitive.

C’est un changement de position important que vient d’opérer l’organisation internationale Creative Commons, par le biais d’une déclaration officielle publiée hier, intitulée “Soutenir la réforme du droit d’auteur“. Cette nouvelle orientation constitue l’une des décisions majeures adoptées lors du Sommet Global qui s’est tenu à Buenos Aires cet été.


Creative Beauty. Par Kalexanderson. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr.

Je traduis ci-dessous en français le texte de la déclaration.

Creative Commons (CC) a ouvert une nouvelle approche dans la manière de faire fonctionner le droit d’auteur durant les dix dernières années. Les licences CC facilitent de nouvelles pratiques sociales, éducatives, technologiques et commerciales et soutiennent la production en réseau de la connaissance et de la culture.

Nous sommes des ambassadeurs dévoués de nos licences et de nos outils, et nous faisons de la pédagogie auprès des utilisateurs, des institutions et des décideurs pour leur montrer les bénéfices positifs découlant de l’adoption des licences CC. Nos licences offriront toujours des options volontaires pour les créateurs désirant partager leurs œuvres selon des conditions plus ouvertes que celles prévues par le système en vigueur du droit d’auteur. Mais la vision de CC – un accès universel à la recherche et à l’éducation, ainsi qu’une participation complète à la culture – ne pourra pas se réaliser seulement à travers des licences.

Autour du monde, plusieurs gouvernements nationaux sont en train de mettre à l’étude ou de s’engager dans des réformes de leurs lois sur le droit d’auteur. Certains proposent des modifications qui élargiraient le champ des usages possibles des œuvres protégées sans la permission des titulaires de droits. En réaction, il a parfois été avancé que le succès significatif des licences CC signifiait que la réforme du droit d’auteur n’était pas nécessaire – que les licences étaient en mesure de résoudre tous les problèmes que les utilisateurs pouvaient rencontrer. Ce n’est certainement pas le cas. Les licences CC constituent un apport, mais pas une solution définitive aux problèmes du système du droit d’auteur (Creative Commons are a patch, not a fix, for the problems of the copyright system). Elles ne s’appliquent qu’aux œuvres dont les créateurs décident consciemment d’accorder contractuellement le droit au public d’exercer des droits exclusifs que la loi leur attribue automatiquement. Le succès des licences ouvertes démontre les bénéfices que le partage et les usages transformatifs peuvent apporter aux individus et à la société dans son ensemble. Cependant, CC opère dans le cadre des lois sur le droit d’auteur, et d’un point de vue pratique, seule une petite portion des œuvres protégées seront couvertes par nos licences.

Notre expérience a renforcé notre conviction que pour assurer des bénéfices maximum à la fois pour la culture et pour l’économie à l’heure du numérique, la portée et la forme du droit d’auteur avaient besoin d’être révisées. Aussi bien conçu que puisse être un système de licences, il ne pourra jamais pleinement réussir ce qu’un changement de la loi pourra accomplir, ce qui signifie que la réforme législative est toujours à l’ordre du jour. Le public tirera avantage de droits plus étendus d’utiliser l’ensemble de la culture humaine et de la connaissance pour le bien de tous. Les licences CC ne sont pas un substitut des droits des utilisateurs et CC soutient les efforts en cours pour réformer les lois sur le droit d’auteur dans le sens d’un renforcement des droits culturels et d’une extension du domaine public.

Lawrence Lessig. Par Joy Ito. CC-BY. Source : Flickr.

Pourquoi cette déclaration est-elle importante ? En réalité à l’origine, les Creative Commons ont été créés en lien avec un projet global de réforme du droit d’auteur. C’est très clair dans les ouvrages de Lawrence Lessig notamment, qui fut le principal instigateur de ce projet (relire L’avenir des idées, Free Culture, Remix). Après l’allongement de la durée du droit d’auteur opérée aux Etats-Unis par le Mickey Mouse Act et une défaite subie devant la Cour suprême dans l’affaire Eldred c. Ashcroft, Lessig et son entourage décidèrent de changer de tactique. Si la loi ne pouvait être réformée, alors on essaierait de “hacker” le système par le bas en donnant directement les moyens aux créateurs d’offrir des libertés plutôt que de poser des restrictions. C’est le tour de force accompli par Creative Commons, à partir du modèle des licences libres proposées dans le domaine des logiciels.

Mais avec le temps, le sens premier de cette entreprise s’est perdu (à mesure aussi que Lawrence Lessig se mettait progressivement en retrait de la direction de Creative Commons). Et une autre conception a fini par prendre le dessus au sein même de la communauté Creative Commons. L’idée s’est généralisée que CC ne faisait que proposer des licences aux créateurs, mais que l’organisation n’avait pas à prôner en tant que telle une réforme du droit d’auteur. Il revenait aux individus de choisir et Creative Commons n’avait rien à imposer. C’est d’ailleurs une tendance que l’on retrouve au-delà de Creative Commons dans la sphère de la Culture libre et des licences libres.

Pour Creative Commons, les choses allaient assez loin, car ses représentants qui étaient souvent investis dans des actions de lobbying pour pousser des réformes, devaient respecter une sorte de “devoir de réserve” et faire une claire distinction entre leurs propres positions et la “neutralité” de l’organisation. C’est à présent une chose qui va pouvoir changer, puisque Creative Commons se prononce en faveur de la réforme globale du droit d’auteur, renouant avec ses racines politiques.

Ce changement a été débattu lors du sommet global de Buenos Aires où Lawrence Lessig est intervenu pour donner une conférence brillantissime, intitulée “Ces lois qui restreignent la créativité”.

A l’occasion de cette présentation, Lessig a envoyé un message très clair à la communauté :

Nous devons partager davantage et pouvoir le faire légalement. Mais pour que cela puisse advenir, il faut que la loi change. Nous devons obtenir des changements effectifs dans la loi pour que ces libertés soient garanties.

A vrai dire, Lessig n’a jamais changé de cap à ce sujet. Dans L’avenir des idées, livre publié en 2001, Lessig faisait déjà une série de propositions de réformes législatives dont la principale était la réduction de la durée du droit d’auteur et le rétablissement d’un enregistrement obligatoire des œuvres, afin de redonner sa place au domaine public. Mais il prônait également clairement la légalisation du partage assortie de la mise en place de financements mutualisés :

Le Congrès devrait autoriser l’échange de fichiers en créant un système de licence obligatoire. Cette taxe ne devrait pas être fixée par une industrie dont l’intention délibérée est de saper ce nouveau mode de diffusion. Elle devrait être mise en place, ici comme ailleurs, par des régulateurs publics cherchant à installer un équilibre.

Ce point de vue rejoint les propositions avancées par La Quadrature du Net de légalisation du partage non-marchand accompagnée de la mise en place d’une contribution créative, dont le but est justement de faire échapper ces financements à la main mise des intermédiaires pour redonner le pouvoir au public. Les Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées contiennent un programme global de réforme du système en 14 points, porteur d’une alternative réelle aux dérives actuelles.

Creative Commons cite d’ailleurs à la fin de sa déclaration La Quadrature du Net comme une des organisations, aux côtés d’EFF, l’Open Knowledge Foundation ou l’Open Rights Group, dont elle soutient l’action en faveur d’une réforme. En France, d’autres collectifs agissent aussi dans ce sens. Nous avons porté devant la mission Lescure avec SavoirsCom1 des propositions globales pour promouvoir les biens communs de la connaissance, dont certaines commencent à produire effet. Les citoyens se mobilisent également et une action exemplaire est sur le point d’aboutir pour envoyer aux députés des livres comportant un programme de réforme du droit d’auteur. Le 31 octobre, SavoirsCom1 organise également une journée sur le domaine public à l’Assemblée nationale pour engager le débat sur cette question essentielle dans le prolongement du rapport Lescure.

Le changement de politique de Creative Commons constitue donc une avancée très positive, qui favorisera l’engagement de la communauté dans l’action en direction des pouvoirs publics. L’an dernier, j’avais chroniqué sur OWNI les 10 ans de Creative Commons en terminant ainsi :

Au bout de 10 ans, les Creative Commons ont fait leur preuve quant à leur capacité à organiser la circulation et la réutilisation des contenus en ligne, tout en apaisant les relations entre les auteurs et le public. Certaines propositions de réforme du droit d’auteur vont à présent plus loin, en suggérant de placer tous les contenus postés sur le web par défaut sous un régime autorisant la réutilisation à des fins non-commerciales des œuvres.

Une telle proposition avait été appelée Copyright 2.0 par le juriste italien Marco Ricolfi et elle aurait abouti dans les faits à faire passer par défaut le web tout entier sous licence CC-BY-NC. Pour revendiquer un copyright classique (tous droits réservés), les titulaires de droits auraient eu à s’enregistrer dans une base centrale.

On retrouve une logique similaire dans les propositions qui visent à faire consacrer la légalisation du partage non-marchand entre individus des œuvres, qu’il s’agisse des Éléments pour la Réforme du droit d’auteur de la Quadrature du Net ou du programme du Parti Pirate.

Si de telles réformes venaient à être mises en œuvre, c’est l’ensemble du système du droit d’auteur qui serait modifié dans la logique des Creative Commons. Le régime juridique de base d’Internet deviendrait grosso-modo la licence CC-BY-NC et les auteurs pourraient toujours choisir d’aller plus loin en employant des licences encore plus ouvertes (CC-BY, CC-BY-SA, etc).

Les Creative Commons ont montré la voie ; à nous à présent de changer la loi !

PS : certaines communautés en France, notamment orientées autour du logiciel libre, peuvent être hostiles à la fois aux Creative Commons et aux propositions de légalisation du partage non-marchand. Rappelons à leur intention que Lessig et Creative Commons ne sont pas les seuls à appeler de leurs vœux ces réformes de la loi. Richard Stallman défend lui aussi la légalisation du partage et la mise en place de financements mutualisés pour la création :