Dans une décision rendue hier, le Conseil d’État s’oppose à l’alimentation sauvage des fichiers de police. Il a ainsi accueilli partiellement les griefs que nous soulevions contre l’application de prises de notes de la gendarmerie nationale, GendNotes, qui prévoyait des possibilités illimités d’interconnexions avec d’autres fichiers. La plus haute juridiction administrative a donc fait de GendNotes un gadget sécuritaire, maintenant que l’application est dépouillée des possibilités de reconnaissance faciale.
Comme nous l’expliquions l’année dernière, l’application de prises de notes de la gendarmerie nationale était un cheval de Troie de la reconnaissance faciale. En autorisant, comme cela était possible avant la décision d’hier du Conseil d’État, le transfert des notes des gendarmes (dont les photos) vers un nombre illimité de fichiers de police, il était donc possible d’alimenter le fichier des Traitements des antécédents judiciaires (TAJ) puis de faire de la reconnaissance faciale depuis ce fichier (voir notre recours contre le TAJ).
Le Conseil d’État y a mis fin. Alors que le ministère de l’intérieur affirmait depuis le début de cette affaire que le TAJ n’était pas directement concerné par cette interconnexion, le Conseil d’État lui a sèchement rappelé le droit : le décret était mal rédigé, trop permissif et permettait bien d’alimenter n’importe quel autre fichier de police. Le couperet est tombé : GendNotes ne peut désormais plus alimenter un quelconque autre fichier.
Même si nous développions dans notre recours d’autres griefs que le Conseil d’État n’a pas retenus, nous nous réjouissons de cette victoire. Cette décision rappelle que la police et le ministère de l’intérieur ne peuvent pas faire tout et n’importe quoi avec les données personnelles.
Cette victoire n’est, toutefois, que temporaire. Le gouvernement pourra revenir, comme il l’a déjà annoncé à l’occasion de cette affaire, avec une réforme des fichiers, pour encadrer cette interconnexion. Il devra, en revanche, minutieusement encadrer ce transfert de données et explicitement préciser les fichiers vers lesquels un tel transfert est possible.
Cette affaire a en revanche mis en lumière les pratiques douteuses de la gendarmerie nationale. En effet, dès 2017, on pouvait retrouver des traces de l’utilisation de GendNotes en dehors de tout cadre légal ou réglementaire. Ce n’est qu’en 2020 que cette application a — mal — été encadrée.
Surtout, nous avons découvert à l’occasion de ce recours l’existence d’une myriade d’applications mobiles pour les gendarmes, alors que rien ne les autorise. En juillet dernier, un rapport sénatorial nous apprenait que GendNotes n’est que la partie émergée de l’iceberg et que l’écosystème d’applications mobiles « Neogend » s’étend au-delà de la seule prise de notes. Il existe ainsi, également, une application dénommée « Messagerie tactique » destinée à interroger des fichiers de police. Mais aussi une application dédiée à l’interrogation du TAJ et, potentiellement, à la généralisation et à la facilitation de l’accès aux possibilités de reconnaissance faciale par les gendarmes. Cette première victoire contre GendNotes ne peut que nous pousser à aller en chercher d’autres contre cet ensemble de dispositifs et d’interconnexions illicites.