Hier, les députés européens ont publié le premier des deux avis attendus sur le règlement de censure des « contenus terroristes », et il est mauvais. Malgré les bonnes intentions de la rapporteure Julia Reda, la Commission IMCO (« Marché intérieur et protection des consommateurs ») a décidé de n’apporter aucun réel changement à la proposition telle que publiée par la Commission européenne en septembre dernier.
Lire notre dossier sur ce règlement.
Toujours pas d’autorisation judiciaire
Selon l’avis de la commission IMCO1L’avis de la commission IMCO n’a pas encore été publié, mais il est principalement constitué de tous les amendements de compromis (excepté le CA 5) listés dans ce document., le gouvernement de n’importe quel État membre de l’Union européenne pourra ordonner à tout site Internet de retirer un contenu qu’il considère comme « terroriste ». Aucune autorisation judiciaire préalable ne sera nécessaire, ce qui permettra aux gouvernements d’abuser de la notion vague de « terrorisme ». La seule chose que la commission IMCO a accepté d’ajouter est de soumettre l’ordre de retrait du gouvernement à un « contrôle judiciaire », ce qui ne veut pas dire grand chose.
En France, les ordres de retrait du gouvernement concernant les « contenus terroristes » sont déjà sujets à un « contrôle judiciaire », avec une autorité indépendante (une personne qualifiée de la CNIL) qui est notifiée de tous les ordres de retrait et qui peut demander à un juge d’en évaluer la légalité. Cela n’a pas servi à grand chose : ce contrôle judiciaire n’a été utilisé qu’une seule fois et, même s’il a conduit à une annulation de l’ordre de retrait, n’a été reconnu comme étant illicite qu’un an et demi après (voir la décision). Durant ce laps de temps, le gouvernement français a donc été capable de censurer abusivement un contenu, en l’espèce une publication d’extrême-gauche sur la plateforme Indymedia.
Loin de simplifier le cadre juridique, le règlement ne fera que le rendre plus complexe, l’autorité d’un État membre étant en capacité d’ordonner le retrait d’un contenu dans un autre État, sans nécessairement prendre en compte le contexte dans lequel il a été publié.
Des délais de retrait irréalistes
Concernant le délai d’une heure que la police peut imposer à un hébergeur pour retirer un contenu qu’elle considère comme « terroriste », aucun réel progrès n’a non plus été réalisé par la commission IMCO. Il a été remplacé par un délai ne pouvant être plus court que huit heures, avec une exception pour les « microentreprises » qui n’auraient pas déjà reçu un ordre de retrait (dans ce cas, il est indiqué que le délai ne pourrait se terminer avant le prochain jour travaillé).
Cette exception très limitée ne permettrait pas à la grande majorité des acteurs de l’Internet de se conformer à des délais aussi courts. Même si la commission IMCO a retiré toute référence à des « mesures proactives » que la police pourrait imposer aux acteurs de l’Internet, et a indiqué que ces derniers ne devraient pas utiliser de filtres automatiques ; ces délais très courts, ainsi que la menace de lourdes sanctions financières ne pourront que les forcer à se soumettre aux outils de modération développés par les GAFAM (Facebook et Google en tête) et à retenir la définition la plus large possible de la notion de « terrorisme » pour éviter toute sanction. De la même façon, l’obligation irréaliste de prévoir un « point de contact » disponible 24/24h et 7j/7 n’a pas été modifiée. La commission IMCO a même alourdi les sanctions financières qui peuvent être imposées en prévoyant une sanction minimum de 1% du chiffre d’affaires mondial, plancher qui n’existait pas dans la proposition de la Commission européenne.
Prochaines étapes
La prochaine étape sera le 11 mars, lors du vote de l’avis de la commission CULT (Culture et Education). Nous n’avons pas de grands espoirs : comme nous l’avions déjà souligné, le projet d’avis de la rapporteure Julie Ward n’était même pas aussi positif que celui de la commission ICMO.
Notre dernière réelle opportunité pour obtenir le rejet de ce texte liberticide sera le 21 mars prochain, lors du vote au sein de la commission LIBE (Libertés civiles, justice et affaires intérieures). Les citoyens européens doivent contacter leurs députés pour demander le rejet du règlement. Nous avons prévu à cet effet une page dédiée avec une analyse du texte et un outil pour contacter directement les députés concernés.
Dès aujourd’hui et dans les 2 semaines à venir, appelez vos députés et demandez leur de rejeter ce texte.