Règlement terroriste

En septembre 2018, sous l’influence de la France et de l’Allemagne, la Commission européenne a proposé un règlement « relatif à la prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste ».

Ce nouveau règlement imposera à tout acteur du Web (hébergeurs de blog ou de vidéos, sites de presse, petits forums ou grands réseaux sociaux) de :

  • Bloquer en une heure n’importe quel contenu signalé comme « terroriste » par la police (sans l’autorisation préalable d’un juge), et donc se tenir à sa disposition 24h/24 et 7j/7.
  • Devancer les demandes de la police en détectant lui-même les contenus illicites à l’aide d’outils de filtrage automatisé.

Si un site ne respecte pas ces règles, il risque une amende jusqu’à 4 % de son chiffre d’affaires.

Le 8 avril 2019, la commission LIBE (« pour Libertés civiles »), qui avait été choisie au sein du Parlement européen pour travailler sur le règlement, a adopté à son tour le texte. Elle y a apporté certaines modifications, notamment en supprimant la possibilité pour les autorités des États membres d’imposer aux acteurs du Web des outils de filtrage automatisé. Cependant, le texte contient encore des dispositions extrêmement dangereuses pour nos libertés.

Il prévoit toujours qu’une autorité (administrative ou judiciaire) puisse ordonner à tout acteur du Web de bloquer en une heure n’importe quel contenu signalé comme « terroriste » par cette autorité. Le nouveau texte de LIBE prévoit que, dans le cas où l’hébergeur n’a encore reçu aucun ordre de retrait, l’autorité doit essayer de le contacter au moins 12 heures avant. Cette précision ne change en réalité pas grand chose, un délai de 13 heures étant bien souvent tout aussi irréaliste en pratique qu’un délai d’une heure.

Délégation de la censure aux géants du Web

D’un point de vue technique, économique et humain, seule une poignée d’acteurs – les géants du Web – pourront respecter des obligations aussi strictes.

Les autres acteurs (commerciaux ou non) n’auront d’autre choix que de cesser leurs activités. Le texte aura pour effet de renforcer la domination de géants du Web qui travaillent déjà avec les États pour mettre en place une censure de masse. C’est le but même de ce règlement qui a été proposé en septembre par la Commission européenne, avec l’objectif d’étendre à tous les outils de modération (filtrage automatique et listes de blocage) développés par Facebook et Google depuis 2015 en coopération avec celle-ci.

Ces multinationales deviendront donc les juges de ce qui peut être dit sur Internet. La structure riche, variée et décentralisée du Web est vouée à disparaître.

Censure des discours politiques

En droit de l’Union européenne, la notion d’infraction « terroriste » est volontairement large, couvrant les actes de piratage ou de destruction massive de biens (ou la simple menace de le faire) commis pour influencer une décision politique ou de déstabiliser des institutions.

Laisser à la police et non au juge le pouvoir de décider ce qu’est un contenu de « terroriste » pourrait mener à la censure d’opposants politiques et de mouvements sociaux. Si le texte voté par la Commission LIBE prévoit que cette autorité doit être indépendante, cela ne suffit pas car chaque État membre a sa propre interprétation de la notion d’indépendance. Ainsi, en France, le gouvernement considère que le procureur de la République est une autorité indépendante alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé le contraire.

L’obligation de censurer un contenu en une heure, avec la menace de lourdes amendes, aura pour effet de motiver les acteurs du Web à censurer en amont tout contenu potentiellement illicite, et ce en adoptant une définition la plus large possible du terrorisme pour ne pas recevoir des ordres de retraits impossibles à satisfaire en pratique.

Une loi inutile

Ce règlement « anti-terroriste » ne permettra même pas d’atteindre son objectif affiché : empêcher que DAESH ou Al Qaeda diffusent leur propagande auprès des personnes déjà séduites par leurs discours.

Il semble absurde de devoir encore le répéter : sur Internet, n’importe quelle loi de blocage peut être contournée par les personnes qui souhaitent accéder aux informations censurées. Les seuls effets de cette loi seront ses dommages collatéraux : le grand public n’aura certes plus à subir les contenus terroristes, mais il n’aura plus connaissance non plus des informations censurées abusivement.

Exigeons le rejet du texte

Sous couvert de solutionnisme technologique, ce règlement joue sur la peur du terrorisme pour mieux encadrer l’expression sur Internet et limiter les oppositions.

Nous devons demander le rejet de ce texte.

  • La censure d’État ne doit pouvoir être prononcée que par un juge.
  • L’obligation de retrait en une heure d’un contenu est irréaliste et ne peut être respectée que par une poignée d’acteurs – les géants du Web.
  • La lutte contre le terrorisme ne doit jamais être un prétexte pour censurer les oppositions politiques.

Le texte, tel qu’il a été voté par la commission LIBE, doit maintenant être débattu et voté par l’ensemble des députés européens. Ce vote aura lieu en session plénière du Parlement européen, du 15 au 19 avril.

Résumé de nos arguments

  1. l’autorisation préalable d’un juge est une garantie indispensable contre la censure politique
  2. la notion de « terrorisme » est si large que, laissée à l’interprétation d’acteurs privés, elle conduira à une censure de discours politiques
  3. les obligations prévues sont si strictes que tous les acteurs du Web devront se soumettre aux outils de modération de Google et Facebook, renforçant le monopole et la puissance nocive de ces derniers

Réponses aux contre-arguments (nos réponses détaillées ici)

  1. « ne seront censurés que les contenus terroristes les plus graves »
    • la seule façon de le garantir est de prévoir le contrôle indépendant d’un juge
  2. « le règlement ne dit pas explicitement que la censure se fera sans juge »
    • il n’impose pas non plus que la censure soit autorisée par un juge ; la notion d’autorité indépendante sera interprétée largement par chacun des États membres, comme c’est le cas pour le procureur de la République en France
  3. « Internet favorise la radicalisation terroriste »
    • les seules études disponibles sur la question expliquent qu’aucune preuve ne le démontre ; dans tous les cas, ce règlement ne peut pas techniquement empêcher DAESH ou Al Qaeda de communiquer avec leurs partisans
  4. « on ne peut pas ne rien faire contre le terrorisme »
    • cela n’implique pas de faire n’importe quoi, juste pour le symbole, dans la précipitation afin d’avoir un texte avant les élections européennes

Vous pouvez appeler les députés du lundi au vendredi, plutôt entre 9h et 18h. Si vous avez un-e assistant-e au téléphone, n’hésitez surtout pas à lui parler, en lui demandant ensuite de partager votre opinion avec son ou sa députée.

Tous les députés et leurs assistants comprendront l’anglais : même si votre niveau d’anglais n’est pas très bon, le leur ne l’est pas toujours non plus, donc ne vous sentez surtout pas gêné pour leur parler.

Une discussion assez simple suffit, du type : « Hello, my name is […]. I am calling about the Anti-Terrorism Regulation. I think it will destroy freedom of speech. There must be no censorship without the autorisation of a judge. Internet censorship must not be outsourced to Internet giants. Reject this text. I will watch your decision. »

Merci !

Pour aller plus loin

Nous vous invitons à lire notre analyse détaillée du futur règlement, retraçant sa genèse, ses implications techniques et politiques ainsi que l’état de son débat au Parlement européen.

Le rapport adopté aujourd’hui n’est pas encore publié mais correspond presque entièrement à ces amendements de compromis.

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