Paquet Télécom : l’Europe qui ne protège pas les citoyens ?

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Bruxelles, le 16 septembre 2008 – La Quadrature du Net a pris connaissance d’amendements de compromis [1] au « Paquet Télécom ». [2] déposés conjointement par les trois principaux groupes politiques (PPE-DE, PSE et ALDE) au sein de la commission du Parlement européen chargée de la protection du consommateur.

La Quadrature du Net constate que le PPE, le PSE et la ALDE n’ont pas repris les recommandations du Contrôleur européen à la protection des données (CEPD) [3]. En plus de ne pas supprimer un certain nombre d’amendements, comme le recommandait le CEPD, ils ne soulignent pas clairement que la coopération entre FAI et producteurs qu’ils souhaitent voir encourager par les États membres ne peut aboutir à « une surveillance systématique, pro-active et à grande échelle de l’usage d’Internet »., ce qui était la crainte principale du CEPD.

À la place, le PPE, le PSE, et la ALDE proposent une formule faisant référence aux « usages individuels »., ce qui ne protège que les communications privées, et n’englobe donc pas le balayage des réseaux publics d’échange. Or, comme l’a rappelé le CEPD pour justifier sa formulation visant à empêcher la mise en œuvre de la riposte graduée en Europe, « dans son avis du 18 janvier 2005, le groupe de travail Article 29, examinant cette questions, a déclaré : “Même si tout individu a naturellement le droit d’exploiter des données judiciaires dans le cadre de litiges le concernant, le principe ne va pas jusqu’à permettre l’examen approfondi, la collecte et la centralisation de données à caractère personnel par des tiers, y compris, notamment, la recherche systématique à grande échelle, comme le balayage d’Internet […]. De telles enquêtes sont de la compétence des autorités judiciaires.” ».

En clair, pour les autorités européennes en charge de la protection des données personnelles, la collecte automatisée d’adresses IP à grande échelle, à des fins de création de fichiers de présumés délinquants, relève donc des autorités judiciaires, et ce, même si l’adresse IP n’a pas été obtenue en surveillant un usage individuel, mais en accédant à des fichiers partagés. Le PPE, le PSE et la ALDE ont omis cet aspect protecteur du droit européen à la protection des données personnelles dans leur formulation, laissant la porte ouverte à la privatisation de missions de police sur Internet, indispensable à la riposte graduée[4].

Les lobbies qui poussent la riposte graduée ne s’en cachent d’ailleurs pas, ils souhaitent faire eux-mêmes la police sans passer par le juge.

Dans une lettre envoyée hier aux eurodéputés, ces organisations exprimaient ainsi explicitement leur souhait de voir modifier le droit européen au prétexte que « depuis que les premières règles régissant les communications en ligne ont été adoptées en 2002, les opérateurs de réseaux et fournisseurs de services de communications électroniques les ont systématiquement mises en avant pour refuser toute coopération avec les victimes de comportements illicites en ligne. En lieu et place, ils ont suggéré que toute victime devrait se tourner vers la police. Une telle suggestion, loin d’être idéale pour tous, ne prend pas en compte les ressources limitées des forces de l’ordre et les priorités de la justice criminelle. «  [5]

La Quadrature du Net s’inquiète donc vivement de la voie proposée par les groupes politiques concernés qui consiste à ne pas suivre les autorités de protection des données personnelles mais les lobbies, d’autant plus que cet amendement n’est que la partie émergée de l’iceberg.[6]

Lors de la dernière séance de la commission des libertés civiles, le rapporteur Alexander Alvaro (ALDE, Allemagne) s’est dit déterminé à remettre en cause le caractère personnel de l’adresse IP, et donc à passer également outre l’avis du CEPD. Enfin, les arbitrages réalisés sur les directives dont est responsable Catherine Trautmann sont toujours inconnus.

Or, c’est dans une des directives suivies par Catherine Trautmann que sont listées les missions des autorités de régulation nationale, et certaines des missions envisagées relèvent actuellement de l’autorité judiciaire, comme le fait de déterminer quand un contenu est licite ou non, ou quand une restriction à la liberté d’expression est justifiée.

Les citoyens auront peut-être la chance que l’ensemble des amendements soient connus avant vendredi pour un vote mardi 23 septembre, principalement si une ONG arrive à se les procurer. Sinon il devront attendre la mise en ligne sur le site du Parlement européen, ce qui leur laissera le week-end et le lundi pour analyser et contacter leurs eurodéputés.

Il existe donc un risque majeur que la tentative de détournement du Paquet Télécom initiée il y a plusieurs mois [7] par le lobby de l’industrie du disque et du film aboutisse, et que la riposte graduée puisse se propager.

** Références **

[1]
http://www.laquadrature.net/wiki/Telecoms_Package_compromise-amendments_080912

[2] http://www.laquadrature.net/wiki/Telecoms_Package

[3] http://www.laquadrature.net/wiki/EDPS_Comments_Telecoms_Package_IMCO

[4] http://www.laquadrature.net/fr/riposte-graduee

[5] http://www.laquadrature.net/wiki/Lettre_230

[6] http://www.laquadrature.net/fr/paquet-telecom-de-lombre-a-la-lumiere

[7] http://www.laquadrature.net/fr/vie-privee-industrie-film-pirate-droit-europeen