Pour définir des politiques publiques pertinentes, il faut avant tout disposer d’une connaissance de la réalité sur laquelle elles agissent. Lorsque l’action publique a depuis longtemps été « sous influence » de certains acteurs privés, on constate généralement que les données essentielles proviennent presque exclusivement de ces mêmes acteurs privés. Les analystes rigoureux doivent alors se livrer à des recoupements complexes pour faire surgir un minimum de vérité dans un océan de présentation biaisée.
Il faut analyser minutieusement les chiffres du SNEP et les croiser avec les résultats des sociétés qui en sont membres pour montrer que les majors musicales ont simultanément diminué considérablement l’offre éditée, augmenté le chiffre d’affaires par album, concentré les ventes parmi ces albums et augmenté leurs profits sur chacun. Ou bien il faut analyser avec soin le rapport d’activité de la SACEM pour s’apercevoir que plus de 80% des revenus des auteurs-compositeurs proviennent de sources qui ne risquent en rien d’être affectées par la création d’une licence globale. Celle-ci serait donc très favorable aux auteurs-compositeurs à l’exception d’une petite minorité de gros bénéficiaires.
Malgré ces éclairages ponctuels, la connaissance de l’économie des activités numériques au sens large (incluant les équipements et surtout les services et activités dérivées, y compris enseignement par exemple) reste profondément fragmentaire et orientée. La mise en place d’un Observatoire de la musique n’a que très partiellement amélioré cette situation dans la mesure où celui-ci est un club d’intérêts particuliers et non un observatoire indépendant. Il reproduit par ailleurs une vision étroite de l’économie du domaine, identifiant musique et vente de musique enregistrée de façon très surprenante pour un organisme hébergé à la Cité de la musique.
Un observatoire des usages numériques culturels a été mis en place par Renaud Donnedieu de Vabres en juillet 2005 et a été confié à la Direction au développement et aux affaires internationales du ministère de la culture. Il s’agit à nouveau d’un club d’intérêts privés et de sociétés de gestion de droits avec 2 représentants d’associations de consommateurs et 3 syndicats d’artistes sur 48 membres. Son activité a été très limitée (organisation du colloque sur les « valeurs de la musique » en décembre 2006) et sa production de données repose essentiellement sur l’activité du DEPS (voir ci-dessous).
Le Département des Etudes, de la Prospective et des Statistiques (DEPS) du Ministère de la Culture est une source d’informations intéressantes sur les pratiques culturelles des français et l’économie générale des filières de médias. Il a ainsi publié une étude d’Olivier Donnat montrant la synergie entre l’usage d’internet et les pratiques culturelles hors internet à l’exception bien sûr du visionnement de la télévision. Nota : cette étude jette un voile pudique sur les pratiques d’échange non-commercial de fichiers (en dehors des créations personnelles) qui sont pourtant une des composantes de cette synergie. On peut s’étonner que le DEPS présente sous le titre « économie des droits d’auteur » des travaux qui montrent (hors livres et auteurs de musique de films) la diminution de l’importance des royalties proportionnelles dans les domaines qu’il étudie, mais c’est un point de détail. Il ne fait pas de doute que l’expertise du DEPS et de son réseau d’experts pourrait constituer l’ossature d’un véritable observatoire indépendant.
Il faudrait pour cela qu’un mandat et un statut adéquat soit donné à un tel observatoire. Le mandat devrait préciser que ce sont bien les activités numériques et tous les contenus qui en résultent ou les utilisent qui sont l’objet de l’observatoire et non les seules industriels culturelles d’édition et de distribution. Le statut devrait rendre l’observatoire (ainsi que ses personnels) indépendant des ministères en charge des politiques réglementaires, sauf bien sûr en ce qui concerne le contrôle budgétaire. Une co-tutelle financière du ministère chargé de la culture et du secrétariat d’Etat charge du développement de l’économie numérique pourrait être envisagée. Enfin, il faudrait que la collecte des données statistiques (y compris sur les plateformes internet) soit organisée de façon à rendre son activité plus aisée. Des obligations de déclaration de données anonymisées (légères pour éviter de créer des obstacles à l’activité des petits producteurs) pourraient ainsi rendre plus aisée l’étude de la diversité des sources et de l’attention qui est aujourd’hui très complexe.
Cette proposition demande bien sûr étude, critiques et perfectionnements. A vos commentaires.