Paris, 22 mars 2017 — La rapporteur au Parlement européen sur le code européen des communications électroniques entend faire reculer l’Europe d’un pas sur le chemin d’une société du numérique libre, développée et égalitaire.
Pour comprendre de quoi il s’agit, petit retour en arrière.
Depuis 2002 la réglementation des télécoms est fondée sur des directives européennes formant ce que l’on appelle le « paquet télécom ». La deuxième révision de ce paquet (après une première en 2009) a commencé en septembre 2016 avec la publication par la Commission européenne d’un projet de code européen des communications électroniques. Ce pavé de plus d’une centaine d’articles entend refondre et faire évoluer l’actuel paquet télécom. Il est actuellement en cours de négociation au Conseil de l’Union européenne et vient de faire l’objet d’un rapport au Parlement européen. Ce rapport publié par la députée européenne Pilar del Castillo (ES – PPE) sera débattu dans les mois à venir.
Le projet de la Commission, un projet pour l’oligarchie des télécoms
L’objectif affiché par la Commission, nous le soutenons : offrir une connectivité à très haut débit, fondée par principe sur la fibre, à l’ensemble des citoyens européens. C’est une évidence. Le chemin quant à lui, nous le discutons. Le projet de la Commission est un projet pour oligopoles, un projet pour les gros, les trois-quatre opérateurs grand public présents dans chaque pays, un projet au détriment des petits. On le savait, cette Commission ne pouvait déboucher sur un projet favorable aux citoyens. C’est d’ailleurs probablement ce qui, en dernière minute, l’a poussée à assortir ce projet de code d’une enveloppe dite « Wifi4EU », comme un dernier sursaut avant de complètement oublier les citoyens. Comme si le Wi-Fi était une question d’argent, que l’on donne du bout des doigts sous forme d’aumône, et non un ensemble de libertés à conquérir.
Dans le projet de la Commission, les citoyens ne sont pas égaux en droit. Le service universel ainsi dessiné par elle fait des personnes isolées géographiques ou dans une situation sociale difficile, des citoyens de second rang. Alors que les citoyens mainstream pourront bénéficier d’un accès à très haut débit, les citoyens bénéficiaires du « service universel » n’auront qu’un accès « fonctionnel » digne du minitel. En bref, aux citoyens des villes la société du numérique à très haut débit, aux citoyens des champs les miettes d’une économie à deux vitesses.
Aujourd’hui les réseaux sont des communs. Selon les termes mêmes de l’Arcep, les réseaux sont « une infrastructure de liberté ». La Commission le néglige en fermant la porte du marché des télécoms à tous les petits acteurs qui pourraient alimenter et faire la richesse des télécoms.
Cette fermeture du marché est tangible à de nombreux égards.
À l’opposé des exigences formulées par les réseaux communautaires et autres FAI associatifs, la Commission s’est contentée d’accorder un privilège considérable aux opérateurs puissants en enlevant toute forme de régulation aux investissant sur de nouveaux éléments de réseaux restés indéfinis. Il en allait de même lorsqu’elle celle-ci proposait de ne pas réguler les opérateurs structurellement séparés. La Commission offrait aussi un beau cadeau aux opérateurs en offrant des droits individuels d’utiliser les fréquences de 25 ans et en comptant sur le marché secondaire des fréquences pour fluidifier le tout. C’était, là encore, aller contre le sens de l’histoire, aujourd’hui que le Wi-Fi, et donc les fréquences libres, véhiculent plus de données que toutes les autres technologies confondues.
Pourtant dans ce combat pour le spectre ouvert, la Commission a défendu le partage des fréquences depuis 2012 et a fait de nombreuses propositions en faveur du partage des fréquences dans sa proposition de code. En y croyant peut-être, mais sans prendre le soin de formuler un cadre cohérent et lisible en faveur du spectre ouvert, trop certaine de se faire manger par les États membres.
Voilà quelques illustrations des mauvaises pentes sur laquelle la Commission s’était engagée contre les citoyens, contre la société numérique, contre l’innovation. Mais cela n’est presque rien en comparaison de ce que prévoit la rapporteur au Parlement européen Pilar del Castillo pour ce projet de refonte du droit des télécoms en Europe.
Le rapport« del Castillo », un projet pour monopoles privés (i.e. le cauchemar)
Pilar del Castillo est connue de nos services. Ses mandats, elle les met sans jamais faillir au service de l’industrie. Une industrie avec laquelle elle nourrit des relations privilégiées et à laquelle elle entend faire les plus beaux des cadeaux. Son rapport sur le Code est un de ceux-là.
Déterminée dans sa quête de casse européenne, Mme del Castillo n’hésite pas à creuser la brèche ouverte par la Commission. La réglementation européenne ne doit plus seulement être faite pour une oligarchie,elle doit être faite pour un monopole. Mais pas n’importe quel monopole. Les monopoles publics que l’Europe a voulu combattre lorsqu’ils étaient détenus par des États, la rapporteur entend maintenant les confier à de puissantes entreprises privées, les opérateurs historiques, ces anciens monopoles maintenant privatisés.
À cette fin, les vacances réglementaires évoquées ci-dessus sont étendues, elles sont encore plus vagues : le contrôle du régulateur en faveur d’un développement plus ou moins égalitaire des réseaux est réduit et l’idée que la fibre et un débit symétrique très élevés doivent être l’objectif est tout simplement relégué à un boulevard pour les rustines que les opérateurs puissants mettraient sur leurs réseaux de cuivre. Et bien évidemment aucun des progrès que l’on pouvait attendre de l’intervention d’une représentante des peuples européens n’est proposé.
Mais là où l’intervention de la parlementaire est sans doute la plus grave, c’est encore sur le spectre. Ce ne sont plus des droits de 25 minimums que les entreprises devront avoir sur les fréquences,lesquelles ressortent du domaine public, mais 30 ans ! 30 ans.Voilà de quoi figer l’économie européenne, voilà de quoi ériger de belles forteresses autour des rois de l’économie numérique,ces opérateurs historiques en voie de remonopolisation. Et n’oublions pas au passage l’absence de capacité d’intervention sur les droits d’utiliser le spectre confiés à ces opérateurs.Enfin, parce que les bénéfices des puissants feraient pâle figure s’ils n’étaient assortis d’une privation pour les petits, les apports instables de la Commission en faveur du spectre ouvert sont littéralement éradiqués par la rapporteur. Ne pensons surtout pas le partage. Ne pensons surtout pas l’innovation. Ne pensons surtout pas la liberté.
Sur ces ruines des télécoms en devenir, seul apport positif du rapport, la suppression des frais administratifs pour les petits opérateurs… Comme quoi, il faut toujours un petit cadeau pour ceux qui sont laissés sur le chemin.