WARNING: unbalanced footnote start tag short code found.
If this warning is irrelevant, please disable the syntax validation feature in the dashboard under General settings > Footnote start and end short codes > Check for balanced shortcodes.
Unbalanced start tag short code found before:
“L’Observatoire des Libertés et du Numérique regroupe le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des Avocats de France, la Ligue des droits de l’Homme, La Quadrature du Net, le Cecil et le Creis-Terminal.">Communiqué commun de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN)”
Paris, 14 novembre 2016 — Le décret TES publié par le gouvernement, comme par effraction, le 28 octobre dernier trahit les principes démocratiques tant sur la forme (la manière dont il a été élaboré et publié) que sur le fond (la création d’un fichier centralisant les données d’identité, de filiation et de biométrie de l’ensemble des Français).
Communiqué commun de l’Observatoire des Libertés et du Numérique (OLN) {[(|fnote_stt|)]}L’Observatoire des Libertés et du Numérique regroupe le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des Avocats de France, la Ligue des droits de l’Homme, La Quadrature du Net, le Cecil et le Creis-Terminal.{[(|fnote_end|)]}
La légalité du décret est assise sur un ensemble législatif ancien, porteur, en lui-même, des dangers que ce fichier TES met brutalement en lumière aujourd’hui. L’article 27 de la loi dite « informatique et libertés » de 1978 laisse au gouvernement la faculté d’instituer, par un simple décret, tous traitements de données à caractère personnel pour le compte de l’État, ou touchant à la sécurité nationale. Pire, depuis 2004, les données biométriques sont soumises au même régime, au mépris de leur sensibilité extrême. De cette honteuse manœuvre, notre démocratie devrait tirer toutes conséquences : l’absence de contrôle parlementaire sur la création de fichiers concernant les individus par l’exécutif doit être combattue.
La CNIL, dont il faut rappeler qu’elle doit sa création précisément à la protestation (virulente) de nombreux citoyens contre la création d’un fichier similaire au fichier TES en 1974, le fichier SAFARI, a obtenu le pouvoir et le devoir de rendre des avis motivés sur les décisions de créations de fichiers de données à caractère personnel mis en œuvre notamment par l’État. Or, la capacité de la CNIL à freiner, voire contrer les projets étatiques de fichage s’est trouvée encore entamée par la réduction de son pouvoir d’avis conforme à un inoffensif avis préalable, mais non contraignant, par la loi du 6 août 2004.
Le tour de passe-passe est ici flagrant : le gouvernement s’appuie sur la loi même qu’il avait combattue lorsqu’il était dans l’opposition : la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité, largement censurée par le Conseil constitutionnel. Autrement dit, sur le plan de la procédure de création d’un fichier aussi important que le fichier TES, qui rassemble l’ensemble des informations d’état civil, de filiation, la photo d’identité, le domicile, éventuellement le courriel, mais également la couleur des yeux ou les empreintes digitales, le gouvernement ne souffre aucun contre-pouvoir. En procédant par décret il s’affranchit d’une délibération démocratique au parlement et l’approbation pleine et entière de la CNIL n’étant pas requise, il va même jusqu’à en nier les critiques essentielles !
Outre ces problèmes structurels dans le processus de création d’un fichier, la prévision d’une dérive de ce nouveau fichier gigantesque ne relève pas du pur fantasme. Elle découle de l’observation méthodique des mutations connues des fichiers précédemment constitués, notamment à des fins policières. Entre l’origine d’un fichier et son utilisation ultérieure, il y a systématiquement des dérives : changement de finalité, érosion progressive du contrôle, modification du champ d’application ou de l’étendue des accès à ce fichier… Même suite à des condamnations, y compris par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les fichiers ne sont pas, ou peu et tardivement corrigés. La France a été condamnée en 2013 par la CEDH pour le FAED (Fichier Automatisé des Empreintes Digitales) au motif que « La conservation des empreintes digitales par ce fichier s’analyse en une atteinte disproportionnée, ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique, et ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu ». Pourtant ce fichier n’a été corrigé à la marge que deux ans après l’arrêt de la CEDH. Quant au FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) créé pour ficher les auteurs d’infractions sexuelles condamnés par la justice, il est passé en 15 ans d’un fichier sous contrôle judiciaire et limité à un fichier policier recueillant l’ADN de toutes les personnes simplement suspectes dans les enquêtes pour les délits les moins graves, même sans condamnation et dont le refus de prélèvement est susceptible de constituer un délit.
C’est ainsi que l’exclusion annoncée de l’utilisation du fichier TES à des fins d’identification et de comparaison (pour les données biométriques et les empreintes digitales) ne suffit pas à le rendre légitime. D’abord parce que des accès privilégiés sont d’ores et déjà autorisés pour certains services de police et du renseignement. Ensuite parce qu’aucune limitation n’est imposée en matière de réquisitions judiciaires : il est alors à craindre que le fichier TES devienne pour la justice, quel que soit le motif de l’enquête, une réserve d’empreintes et de photographies bien plus massive que le FAED et le TAJ (Traitement des Antécédents Judiciaires), faisant de tout citoyen un suspect en puissance.
Ces questions sur le formalisme, les conditions d’élaboration et le contrôle juridique du fichier TES ne sont cependant pas les seules sources d’inquiétude de l’Observatoire des Libertés et du Numérique, tout comme de très nombreuses voix qui se sont élevées depuis deux semaines sur le sujet. Les interrogations sur la sécurité du fichier, sur les choix techniques qui ont été faits et donc sur les garanties d’intégrité qui sont données par le gouvernement sont également nombreuses, étayées et suffisamment graves pour demander une annulation du décret.
Le choix de la centralisation du fichier est un choix dangereux : il expose un ensemble massif et précieux de données personnelles à la portée de puissances hostiles ou de criminels expérimentés. Les promesses réitérées de chiffrement robuste et de sécurisation avancée faites par le ministre de l’Intérieur seront évidemment invérifiables, et pourront difficilement compenser l’absence de résilience qu’aurait apportée une décentralisation du fichier, soit au niveau du porteur individuel de titre d’identité, soit au niveau des différentes composantes du fichier. Choisir la centralisation des données d’identification de l’ensemble des Français c’est choisir d’être une cible très alléchante, comme l’ont montré les attaques subies par des bases de données israéliennes, turques ou philippines. La question n’est donc pas : TES sera-t-il attaqué, mais : quand le sera-t-il ?
Les modalités de destruction des données à la fin du délai de conservation n’ont pas été détaillées dans le décret ou ailleurs. Pourtant, la question de l’effacement est cruciale, notamment en ce qui concerne les données biométriques, puisque ces données sont inaliénables de l’identité de l’individu. Il n’est donc pas possible pour l’individu de changer ces données.
Le choix de conserver les données biométriques sous forme brute dans le fichier plutôt que de stocker uniquement des gabarits permettant l’identification voulue, sans exposer davantage l’intimité des millions de personnes concernées, est à nouveau un choix surprenant et inquiétant. Il laisse la porte ouverte à des falsifications en cas de vol de données, et à des évolutions futures sur les identifications biométriques possibles. Il est nécessaire de rappeler que cette année, des propositions de loi tendant à coupler vidéosurveillance et reconnaissance faciale ont été déposées au Parlement français, sans soulever de la part du gouvernement de condamnation claire et immédiate. Il y a tout à craindre d’une évolution future de l’utilisation de ce fichier global de la population française. Et que dire de la marge d’erreur de 3% dans l’identification, qui est porteuse de nombreuses dérives si l’on considère ce fichier comme l’alpha et l’oméga de l’identification des individus ? Les droits d’accès et de rectification n’auront pas d’impact s’agissant des données les plus sensibles.
Les informations publiées dans la presse sur les raisons de création du fichier TES (supprimer des postes de fonctionnaires et rationaliser la délivrance des titres d’identité) interrogent sur la responsabilité de l’administration et de la technocratie dans l’érosion des libertés et l’évitement du processus parlementaire et démocratique. L’utilité pratique ou la centralisation des informations ne peuvent être des arguments pour justifier la création de fichiers sensibles et d’ampleur nationale tels que le fichier TES, sous peine de soumettre à l’administration les valeurs fondamentales que nous défendons.
Au-delà des considérations juridiques et techniques, il convient enfin de reconsidérer le rapport que nous avons avec l’identification des individus, dans une perspective de défense du droit au respect de la vie privée. Si la volonté d’empêcher techniquement toute falsification peut sembler légitime, l’histoire nous rappelle combien la capacité à résister à des dérives autoritaires passe par la faculté d’échapper au contrôle étatique, notamment sur son identité. Les fichiers centralisés ne font pas les régimes autoritaires, mais tout régime autoritaire s’appuie sur un fichage de sa population. L’ajout de nombreux marqueurs biométriques aux éléments de filiation ou d’état civil renforce l’attachement de l’individu, par son corps, à l’État. Nul ne peut exclure des usages liberticides d’un tel fichier à l’avenir, et toute évolution vers plus d’identification devrait être discutée démocratiquement dans cette perspective.
L’Observatoire des libertés et du numérique se joint aux voix qui réclament l’abrogation du décret TES.