Paris, le 20 avril 2015 — Le 3 mars 2015, le Conseil de l’Union européenne a voté un texte mettant en péril la neutralité du Net en Europe, au mépris de la position arrêtée par le Parlement européen un an plus tôt. Des négociations entre le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil ont commencé le 11 mars dernier (trilogue) pour aboutir avant l’été à un accord sur le texte définif. Une fois adopté, ce règlement devra s’appliquer dans tous les pays de l’UE. L’enjeu est donc fondamental d’obtenir du Parlement européen qu’il reste ferme sur la préservation de la neutralité du Net, principe de traitement égal des données à la fois sur le réseau et dans les prix. Mettre à mal la neutralité du Net c’est porter atteinte aux droits et aux libertés fondamentaux de tout citoyen européen. Pour cette raison et afin de rappeler nos représentants à leur responsabilité, La Quadrature du Net envoie une lettre aux eurodéputés pour les appeler à rejeter les propositions du Conseil et revenir à une véritable protection des droits et des libertés de chacun.
Chers Eurodéputés,
Le Parlement européen a jusqu’à présent eu un rôle fondamental dans les négociations sur le règlement sur le Marché unique européen des communications électroniques. C’est en effet vous, Eurodéputés, qui avez introduit le 3 avril 2014 le principe de neutralité du Net comme fondement du respect des droits et libertés des citoyens sur Internet, assurant ainsi un accès à Internet sans discrimination. Très récemment, le 26 février dernier, les États-Unis ont eux-mêmes consacré Internet comme « bien public », via l’adoption d’un texte donnant le pouvoir à la Commission fédérale des Communications (FCC), le régulateur des communications américain, de faire appliquer la neutralité d’Internet sur le territoire américain.
Or la neutralité du Net est aujourd’hui mise en péril. Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 3 mars dernier un texte faisant le jeu des puissantes entreprises de télécommunications, au mépris des droits fondamentaux en supprimant toute allusion à la neutralité du Net.
Le Conseil a détruit l’équilibre du texte voté au Parlement qui permettait aux opérateurs de développer des offres d’accès innovantes (les « services spécialisés ») tout en apportant une protection forte aux citoyens. En refusant de définir strictement la neutralité du Net, il se soumet aux intérêts des opérateurs et ignore ceux des citoyens.
Accepter un tel recul aura de sérieuses répercussions sur l’innovation et la liberté de communication en Europe et dans le monde entier.
Sans règles claires sur la neutralité du Net, les plus grands fournisseurs d’accès à Internet deviendront des points de péage qui accorderont l’accès à leurs clients selon ce que ceux-ci pourront payer et qui excluront les autres. L’adoption du règlement en l’état entérinerait donc la discrimination y compris financière, et orienterait le texte vers la libre circulation des contenus sans aucune protection des droits fondamentaux en contrepartie. Cela permettrait à un groupe restreint d’industries qui exercent un monopole dans le secteur des télécommunications, comme Google par exemple, de réaffirmer leurs droits de monopole, portant atteinte à la concurrence, à l’innovation et à la liberté de communication. C’est pourquoi inscrire la neutralité du Net dans la loi est le seul moyen d’assurer qu’Internet restera ouvert pour l’innovation et une plate-forme pour promouvoir les droits humains.
Nous vous appelons donc à fermement maintenir votre position d’avril 2014 sur la préservation de la liberté et de la non-discrimination et à soutenir la neutralité du Net, qui est à la fois :
- une garantie d’une économie européenne stimulant équitablement la compétition et l’innovation européennes,
- une garantie pour la liberté d’expression et d’information, réduisant les risques de censure et de surveillance.
Nous avons besoin d’une vraie neutralité du Net.
Nous avons besoin de règles européennes claires qui interdisent tout type de discrimination du réseau comme le blocage, le ralentissement ou la discrimination par le prix, et notamment les services appelés « zéro-frais ».
Nous avons besoin d’une direction politique, qui reconnaisse la valeur d’un Internet ouvert, démocratique et innovant.
Nous comptons sur vous et vos collègues en trilogue, sur votre fermeté et votre profond sens des valeurs démocratiques européennes.