Le droit au remix doit être un corollaire du droit au partage de la Culture !

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Paris, 8 octobre 2014 — La juriste Valérie Laure Benabou a remis cette semaine au CSPLA un rapport consacré aux « oeuvres transformatives », dans le cadre d’une mission faisant suite aux recommandations de la mission Lescure visant à sécuriser les pratiques de remix et de mashup. La Quadrature du Net – qui avait participé aux auditions ayant précédé ce rapport – déplore que les recommandations finales n’aillent pas dans le sens de la consécration d’un droit au remix, qui constitue le corollaire du droit au partage de la Culture que défend l’association dans son programme de réforme positive du droit d’auteur.

Le rapport de Valérie Laure Benabou contient quelques préconisations intéressantes, concernant notamment la reconnaissance positive du domaine public, les licences libres, les formats ouverts ou l’extension de l’exception de citation à tous les types d’œuvres. La préconisation n°13 mérite également d’être saluée : « S’agissant des échanges décentralisés entre individus, reprendre la réflexion initiée dans les années 2000 afin de mesurer si les arguments avancés à l’encontre des solutions proposées alors (licence globale) demeurent d’actualité à l’égard des propositions actuelles (partage non marchand) et des changements éventuels de pratiques ».

Néanmoins, concernant le cœur du sujet, à savoir les pratiques transformatives de remix et de mashup, le rapport écarte les différentes solutions qui permettraient de leur donner un cadre juridique sécurisé par le biais d’une exception au droit d’auteur. À la place, la seule piste opératoire avancée consiste en un mécanisme de mandat, visant à donner un rôle central aux grandes plateformes, comme Youtube ou Dailymotion, qui joueraient un rôle d’intermédiaire pour aller négocier un « droit au remix » au nom des internautes auprès des sociétés de gestion collective. Une telle approche présenterait l’inconvénient majeur de réserver la liberté de remixer à ces seuls espaces centralisés, à cause du poids de ces acteurs dans l’écosystème d’Internet.

À l’inverse, La Quadrature du Net publie ci-dessous la position défendue par son co-fondateur Philippe Aigrain lors des auditions de la mission. Elle consiste à lier le droit au remix au droit au partage des œuvres en ligne entre individus sur Internet et de reconnaître un statut d’auteur à part entière aux créateurs d’œuvres transformatives, comprenant la possibilité d’en faire un usage commercial, comme c’est le cas actuellement pour les caricatures, pastiches et parodies.

Résumé des positions pour la mission Créations transformatives de Valerie-Laure Benabou

Philosophie générale :

Une prise en compte de l’importance des pratiques transformatives doit viser à mon sens :

  • à les rendre possible sans obstacles juridiques, pratiques ou techniques,
  • à créer un environnement favorable à l’autonomie et au développement culturel des personnes qui les pratiquent,
  • à traiter ces personnes comme auteurs de plein droit quand leurs productions présentent l’originalité nécessaire (nous réservons l’appellation « créations » à cette situation),
  • à clarifier et rendre effectifs leurs droits et devoirs à l’égard des œuvres existantes,
  • à renforcer leur pouvoir vis à vis des opérateurs de plateformes de services.

Un élément de contexte doit être souligné : la pratique des créations transformatives n’est possible que lorsque l’on dispose d’un fichier numérique librement utilisable pour celles-ci. La situation où les créations transformatives ne sont rendues possibles qu’à travers un outil disponible sur une plateforme de service aboutit à confier à celle-ci la définition des outils et par là des types de créations, restreint l’autonomie et le développement culturel des praticiens.

Enfin, il faut souligner que toutes les créations sont d’une certaine façon transformatives d’œuvres préexistantes.
Sur la base de ces objectifs et analyses, je considère qu’une politique des créations transformatives doit reposer sur une double approche : une libération complète de celles-ci vis à vis des droits exclusifs patrimoniaux pour les pratiques non marchandes décentralisées ; des droits d’exploitation pour les auteurs et les distributeurs de créations transformatives, dont la nature soit telle que ces droits puissent être mis en œuvre de façon simple et efficace, y compris à l’égard des plateformes de distribution.

Libérer les pratiques transformatives non marchandes des individus

La Quadrature du Net défend la reconnaissance d’un droit au partage non marchand entre individus des œuvres numériques qui inclut les pratiques transformatives. Ce droit est restreint dans notre proposition au partage décentralisé (sans centralisation des fichiers sur un site). Il est mis en place par la définition d’un nouveau type d’épuisement des droits sur les usages non marchands décentralisées des œuvres numériques Il permet donc aux individus des pratiques transformatives libres et la diffusion de leurs résultats. La fourniture de moyens aux individus pour l’exercice du droit au partage est dans notre proposition légale. Ce droit ne s’applique pas aux plateformes de services web type YouTube en raison de leur caractère centralisé.

Des exceptions étendues ou une exception pour les pratiques transformatives

Pour légaliser les pratiques transformatives au-delà du cas non-marchand décentralisé, la clarification et l’extension d’exceptions existantes sont utiles. Dans le contexte français ou européen, différentes approches ont été suggérées reposant sur l’élargissement de l’exception de citation (application à tous les médias, élargissement des limites quantitatives et qualitatives), clarification et élargissement des exceptions de parodie ou satire, etc. Ces démarches sont salutaires, mais risquent de laisser subsister une importante incertitude juridique. L’approche d’une exception spécifique pour l’ensemble des pratiques transformatives mérite d’être explorée, notamment au niveau européen puisqu’elle supposerait de créer une nouvelle exception à l’article 5 de la directive 2001/29/CE. Une forme de rémunération équitable pourrait être mise en place (de la part des plateformes commerciales centralisées et seulement ce celles-ci).

Je souligne néanmoins le fait que si seules ces approches étaient mises en œuvre, et que rien n’était fait pour les droits au partage non marchand décentralisé et pour encourager la disponibilité de fichiers numériques sans DRM, le bénéfice réel sera très réduit, et qu’il y aurait même un effet pervers d’encouragement aux plateformes de services centralisés par rapport aux usages autonomes.

La situation des plateformes de service

Celle-ci doit à mon sens est envisagée de façon distincte lorsqu’il s’agit de simples pratiques transformatives et lorsqu’il s’agit de créations transformatives (dont les œuvres résultantes sont porteuses d’un droit d’auteur pour leur auteur).
Lorsqu’il s’agit de simples pratiques transformatives non créatrices d’oeuvres originales, celles-ci sont couvertes par les exceptions de la section précédente.

Dans le deuxième cas, il est essentiel de considérer l’œuvre résultante comme autonome et ce sont les droits de l’auteur transformatif qui doivent être renforcés : s’il existe une exploitation de l’œuvre transformative par une plateforme de distribution (y compris exploitation par monétisation de l’audience), elle doit donner lieu à rémunération de l’auteur. On pourra envisager le fait que celle-ci prenne la forme d’une rémunération équitable, en considérant cependant avec soin le fait que la négociation entre l’auteur usager de la plateforme et celle-ci se fait dans une situation d’information imparfaite et très inégale. À mon sens, si l’œuvre transformative satisfait les critères d’originalité du droit d’auteur, elle seule doit être rémunérée et non l’œuvre ou les œuvres originales utilisées.

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