Paris, 18 mai 2015 — La Commission européenne a publié le 6 mai sa stratégie à l’horizon 2020 pour la mise en place d’un marché unique du numérique. De nombreux domaines liés au numérique sont ainsi concernés par cet agenda, depuis le droit d’auteur à la criminalité, en passant par les télécommunications et l’harmonisation de la TVA. S’il est positif de voir la Commission se saisir de ces enjeux, La Quadrature du Net ne peut accueillir ces chantiers qu’avec la plus grande prudence, tant les tentatives précédentes ont été désastreuses sur le plan de la protection des droits fondamentaux.
La stratégie de la Commission européenne s’inscrit dans la logique de modernisation et d’harmonisation des règles européennes pour le numérique, déjà amorcée notamment par la proposition de règlement sur la protection des données personnelles et la proposition de règlement sur les télécommunications. Ces deux règlements sont actuellement en négociations et de sérieuses inquiétudes ont déjà été soulevées sur le risque d’une profonde remise en cause d’un certain nombre de principes fondateurs d’Internet et des droits à la protection des données personnelles. Pourtant, on ne peut pas bâtir un marché unique du numérique sur les ruines des droits fondamentaux, sans la confiance des citoyens et consommateurs et sans l’assurance d’un Internet neutre et non discriminant pour tous.
Parmi les réformes envisagées, celle du droit d’auteur fait aussi débat. La réforme du droit d’auteur a fait l’objet de plusieurs rapports du Parlement européen, dont celui de l’eurodéputée Julia Reda (Verts/ALE – DE). La stratégie de la Commission pour un marché unique du numérique prévoit la présentation d’une proposition de réforme du droit d’auteur fin 2015 et il est fondamental que cette future réforme prenne en compte les directions données dans le rapport Reda, proche des propositions de La Quadrature du Net dans ce domaine. En effet, l’enjeu de l’adaptation du droit d’auteur à l’ère du numérique est important pour une meilleure prise en compte des nouvelles possibilités de création et de partage et pour une meilleure protection des créateurs et auteurs contre le monopole des ayants droit et sociétés de gestion.
Si certains aspects de la stratégie de la Commission font à peu près consensus, tels la fin du geo-blocking, des points cruciaux demeurent problématiques. Ainsi en est-il du transfert de la gestion de la lutte contre le partage illégal d’œuvres soumises au droit d’auteur aux entreprises privées. Le développement de puissants acteurs économiques rayonnant à une échelle régionale ou internationale dans le domaine du numérique ne doit pas être un moyen pour les États de se défausser de leurs responsabilités via des accords public-privés pour réguler Internet, notamment au nom de la lutte contre le partage en ligne ou la criminalité. C’est pourtant une tendance de plus en plus forte des institutions européennes et des États membres de confier certaines de ces prérogatives de police ou justice à des entreprises : droit à l’oubli, approche « suivre la trace de l’argent » ou accords avec les opérateurs bancaires. Si des normes de sécurité s’avèrent importantes pour renforcer la confiance des consommateurs et protéger le secret industriel, le développement de la soft law ne doit pas devenir la règle de base pour la régulation d’Internet.
La Quadrature du Net appelle les élus européens et citoyens à une grande vigilance pour ne pas laisser nos droits fondamentaux se réduire comme une peau de chagrin au profit de politiques sécuritaires ou économiques dangeureuses pour nos démocraties.
« La stratégie de la Commission européenne pour un marché unique du numérique doit respecter les valeurs européennes. Le risque est très fort pour les institutions européennes et les gouvernements de se laisser dicter leurs lois par les puissants lobbies économiques au détriment du respect des libertés fondamentales. » s’inquiète Agnès de Cornulier, coordinatrice de l’analyse juridique et politique de La Quadrature du Net.