Paris, le 17 mars 2016 — La Quadrature du Net écrit aux sénateurs qui vont examiner le projet de loi de réforme de la procédure pénale, de lutte contre la criminalité organisée et contre le terrorisme et son financement. Ce texte, présenté par le gouvernement comme une condition nécessaire à la sortie de l’état d’urgence, porte de nombreux points de l’état d’urgence dans la loi ordinaire, installant ainsi durablement des mesures qui nous semblent dangereuses pour les droits fondamentaux et l’équilibre des pouvoirs.
Madame la sénatrice,
Monsieur le sénateur,
Vous discuterez à la fin du mois de mars le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Depuis novembre, vous avez également voté une loi sur l’extension du périmètre et de la durée de l’état d’urgence, puis une prolongation de ce même état d’urgence en février, ainsi que l’inscription du principe de l’état d’urgence dans la Constitution française.
Le gouvernement vous demande de parachever ainsi un processus initié par la loi de programmation militaire en 2013, poursuivi par la loi antiterroriste de 2014 et la loi sur le renseignement de 2015, ainsi que par la mise en place de l’état d’urgence, sous la pression du risque terroriste. Chacune de ces lois a eu pour objet de donner davantage de moyens aux services de police et de renseignement dans leur travail de surveillance des populations, et chacune de ces lois a eu pour effet de réduire les capacités d’une institution judiciaire constamment présentée comme lente, inefficace et procédurière, voire comme entravant la lutte antiterroriste.
Le gouvernement vous demande dans cette loi de banaliser des mesures d’exception, d’étendre les mesures de surveillance massive des services de renseignement à la police ainsi que de créer des mesures de privation de liberté et de surveillance renforcée hors du contrôle judiciaire pour pallier les erreurs et failles du renseignement.
Ces lois, votées les unes après les autres sans réelle prise en compte de leur impact profond sur l’équilibre des droits, bouleversent les rapports entre pouvoirs exécutif et judiciaire et fragilisent les droits fondamentaux. Dans les temps difficiles de lutte contre le terrorisme, il convient au contraire de rester ferme sur les garanties accordées à l’ensemble des citoyens, et ne pas verser dans un traitement indigne de nos valeurs au nom de la lutte antiterroriste.
D’autre part, ni l’Assemblée nationale ni le Sénat n’ont tiré publiquement de conclusions de leurs commissions destinées à examiner la réalité de l’application de l’état d’urgence, ce qui ne vous permettra pas de légiférer en toute connaissance de cause alors que l’état d’urgence, constitutionnel ou transposé dans la loi ordinaire, est au cœur des lois actuellement débattues et au cœur de la contestation des organisations de défense des droits ou des professionnels de la Justice.
C’est pourquoi nous vous demandons d’amender sans crainte le projet de loi de lutte contre le crime organisé et le terrorisme en ayant toujours à l’esprit de défendre les droits des citoyens qui seront concernés par ces lois : votre pouvoir législatif doit être attentif au respect de l’équilibre entre pouvoirs législatifs et judiciaires, et tenir en grande attention le respect des droits fondamentaux.
Nous attirons notamment votre attention sur l’article 20 du projet de loi, qui synthétise une grande part de l’extension de l’état d’urgence à la loi ordinaire, en prévoyant un nouveau régime de surveillance administrative renforcé et hors de tout contrôle judiciaire : probablement créé pour pallier les failles du renseignement, il est porteur de dérives importantes contre les droits fondamentaux.
Vous trouverez nos analyses et propositions d’amendements sur la loi de lutte contre le terrorisme et le crime organisé au bout de ce lien.