Paris, 3 juin 2014 — Le 6 juin prochain lors du Conseil de l’Union européenne, les ministres seront invités à prendre note de l’état d’avancement des travaux concernant la proposition de règlement sur la neutralité du Net. Après des élections européennes qui ont vu la montée en puissance des forces eurosceptiques, les gouvernements des États membres seront-ils prêts à suivre le vote du Parlement européen et à défendre nos libertés ?
La neutralité du Net est revenue dans l’actualité ces dernières semaines, avec la décision de la FCC (Federal Communications Commission, l’équivalent de l’Arcep américain) d’autoriser les discriminations commerciales (« fast-lanes »). C’est un recul majeur pour le principe de neutralité du Net aux États-Unis, alors même que le Parlement européen s’est, lui, exprimé en faveur d’une protection réelle du principe de Neutralité du Net en avril dernier.
En Europe, les avancées permises par le vote des eurodéputés sont cependant loin d’être acquises. Le 6 juin prochain, le Conseil des ministres de l’Union européenne, qui réunit les ministres des États membres, devait rendre un « rapport d’orientation ». Ce rapport aurait dû donner un premier aperçu de la position des États sur la proposition de la Commission européenne, qui a fait l’objet de vives critiques à cause d’un encadrement très vague des services spécialisés et d’une formulation ambiguë et contradictoire de la neutralité du Net. Ce rapport aurait permis de comprendre comment les États membres se situent par rapport à la proposition plus exigeante adoptée par le Parlement.
Mais l’ordre du jour publié à la fin du mois de mai montre au contraire que le processus est en train de ralentir, voire de se déliter : le 6 juin, il n’est prévu que de donner « un état d’avancement des travaux » concernant le dossier.
Cela laisse à penser que les gouvernements n’ont pas encore pris de position claire sur la neutralité du Net, ou qu’une partie d’entre eux ne souhaite pas faire progresser le dossier. Il est donc à craindre que ce report vise à éviter l’adoption d’une définition forte de la neutralité du Net et d’une prise de position par rapport à l’expression démocratique des parlementaires.
Quelle est la position de la France dans ce processus ?
Chaque État membre aura un rôle important à jouer dans la position qui sera prise. Alors que l’Italie, qui assurera la future Présidence du Conseil, s’est exprimée en faveur de la neutralité du Net, la position de la France demeure encore extrêmement ambiguë.
Lors du vote, le gouvernement français a appelé à rejeter les amendements défendant un Internet neutre que certains eurodéputés socialistes – à l’image de Catherine Trautmann – avaient ardemment défendu et qui ont été adoptés. Une attitude incohérente, qui a – de fait – aligné la France sur la position défendue par les lobbies des grands opérateurs télécoms.
Pour autant, Axelle Lemaire, nouvelle Secrétaire d’État au Numérique – à l’époque députée à l’Assemblée Nationale – avait de son côté appelé à voter en faveur des amendements portés par les eurodéputés socialistes, s’opposant ainsi aux positions du gouvernement français et portant le germe d’une contradiction interne. De la même façon, ses premières interventions publiques après sa nomination comme secrétaire d’État au Numérique semblent indiquer qu’elle est toujours favorable à la neutralité du Net.
À la lumière de ces positions visiblement contradictoires, il est légitime de s’interroger sur la position publique de la France au Conseil du 6 juin prochain. Sera-t-elle celle des industriels des télécoms, que défend avec zèle le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg ? Ou celle d’une vraie neutralité du Net, telle que l’ont défendue les citoyens européens et leurs représentants au Parlement européen, en accord avec les positions d’Axelle Lemaire ?
Les citoyens français sont en droit de savoir quelle sera la position de la France dans ces négociations cruciales pour l’avenir d’Internet. Le gouvernement de Manuel Valls doit donc faire état publiquement de sa position sur ce dossier sensible et ainsi permettre la tenue d’un débat public. La position de la France dans ce dossier a-elle changé entre le 3 avril et aujourd’hui, ou va-t-on assister à une passe d’armes entre deux ministres, deux personnalités qui divergent sur le fond même du sujet qu’ils ont à traiter ?
Faire de la neutralité du Net un objet politique, économique et sociétal
À quelques heures de la réunion du Conseil relative à la neutralité, La Quadrature du Net a écrit au gouvernement pour l’enjoindre à prendre une position claire et publique sur la neutralité du Net, en accord avec celle affichée par les eurodéputés et la société civile.
Le gouvernement doit comprendre que la neutralité du Net est un véritable enjeu politique :
- la neutralité du Net est un principe technique fondateur de l’Internet, et à ce titre fait partie de nos biens communs informationnels ;
- la neutralité du Net est garante de la liberté de communication et d’égalité pour les citoyens ;
- la neutralité du Net est source d’innovation dans l’économie numérique et un atout fondamental pour les entreprises européennes face aux grandes entreprises américaines du secteur technologique ;
- après les élections européennes, le gouvernement français doit entendre la demande des citoyens, des eurodéputés de son groupe politique en prenant garde à ne pas abandonner le terrain de la défense des droits fondamentaux aux eurodéputés eurosceptiques ;
« Après les élections européennes du 25 mai dernier, alors que le Parlement européen se voit investi de nombreux députés eurosceptiques, il est crucial que la position du Conseil des ministres de l’Union européenne, et notamment celle de la France au sein de ce Conseil, soit une position de défense de la démocratie européenne et des intérêts des citoyens. Le gouvernement français va-t-il prêter la main à des manœuvres pour enterrer la position des parlementaires européens, y compris de sa propre couleur politique ? » déclare Miriam Artino en charge de l’analyse juridique et politique à La Quadrature du Net.
« La Quadrature du Net sera vigilante et interpelle le gouvernement, son Ministre de l’économie Arnaud Montebourg, sa Secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire, afin qu’ils prennent une position claire au sujet de la neutralité du Net et qu’ils la défendent au sein du Conseil de l’Union européenne. Le bien commun qu’est Internet doit être fermement défendu par nos dirigeants. Il en va des droits fondamentaux des citoyens sur Internet, il en va des capacités d’innovation et de création de la France et de l’Europe » conclut Adrienne Charmet-Alix coordinatrice des campagnes à La Quadrature du Net.