[DN] Edward Snowden interview with Dagens Nyheter

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The American tradition in regard to whistleblowers is to try to bury them, Edward Snowden says. […]

Being a whistleblower is not about who you are; it’s about what you’ve seen. Whistleblowers are elected by circumstance, anybody can do it. It’s about people who watch, who think, and who eventually respond. […]

It’s not like anybody at the NSA is a villain. No one’s sitting there thinking ”how can I destroy democracy?” They’re good people doing bad things for what they believe is a good reason. They think the end justifies the means. […]

When they use the word security, they’re not talking about safety. What they’re talking about is stability. Like when they’re saying that they’re saving lives by bombing them. Stability is the new highest value. It’s not about freedom, it’s not about liberty, it’s not even about safety. It’s about avoiding change. It’s about ensuring that things are predictable, shapeable, because then they are controllable. […]

Journalists should feel at least some sense of obligation that corresponds to performing a public service. Helping people understand what they need to know, just as much as what they want to know. They can only govern with the consent of the governed. But consent isn’t consent if it isn’t informed. […]

CIA, NSA and DIA (Defence Intelligence Agency) Directors all have been brought on the floor of the congress and they have been asked by my strongest critics, begged for any evidence, that any national security interest has been harmed, that any individual has come to harm. And not in any single case have they shown concrete evidence that this occurred. […]

A federal judge noted that the US does not cite a single case ”in which analysis of the NSA’s bulk metadata collection” actually stopped an imminent terrorist attack. […]

Arguing that you don’t care about the right to privacy because you have nothing to hide, is no different than saying you don’t care about free speech because you have nothing to say, or the freedom of press because you’re not a journalist, or the freedom of religion because you’re not a Christian. Rights in societies are collective, and individual. You can’t give away the rights of a minority, even if you vote as a majority. Rights are inherent to our nature, they’re not granted by governments, they’re guaranteed by governments. They’re protected by governments. […]

Edward Snowden

Traduction en français

Merci à :

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  • @youzeur

pour la traduction et la relecture !


Cinq heures avec Edward Snowden

6 novembre 2015

Soudain il ouvre la porte, Lena Sundström et Lotta Härdelin de DN [ndlqdn : Dagens Nyheter où a été publié la version originale de cet article] avaient un rendez-vous unique avec le lanceur d’alerte qui a des fans tout autour du monde, mais risque l’emprisonnement à vie dans son pays d’origine qu’un jour il a tenté de sauver.

S’adressant au service d’étage, Edward Snowden couvre le combiné du téléphone et crie à travers la pièce :
— Comment voulez-vous votre steak ?
— À point, je lui réponds.
— Et à boire ?
— De l’eau.
— Plate ou pétillante ?
— Pétillante.
— Attendez.
Il rit.
— Ce n’est pas fini. Légumes ou purée de pommes de terre ?
— Légumes.

Le « choix entre deux chaussures gauches » de l’ancienne Union Soviétique fait, depuis des années, partie de l’histoire russe. Sur mon chemin ici, je suis passée devant des caractères cyrilliques qui étaient parfaitement lisibles, même sans connaître le russe. Des marques comme McDonald, Starbuck, World Class Gym, Michael Kors et United Colors de Benetton sont comme un langage universel, rendant tout compréhensible, que les signes soient à Moscou, Stockholm, San Francisco ou Bangkok. Si vous pensez que vous pouvez mesurer les tendances totalitaires, la liberté d’expression et l’état de droit dans le pays, par le standard des voitures, le nombre de restaurants, ou la dernière collection de printemps de Stella McCartney, vous vous trompez.

La pauvreté est visible. Pas le manque de démocratie.

Je regarde la circulation se densifier à travers la fenêtre de ma chambre d’hotel, si tant est que cela soit possible dans une ville où le trafic routier est tellement congestionné que vous allez plus vite en marchant.

Il n’y a si pas longtemps, j’étais assise avec la photographe, Lotta Härdelin, au point de rendez-vous où nos contacts devaient nous récupérer, en se demandant si quelque chose allait mal se passer.

Durant des mois, j’avais échangé des messages chiffrés avec des contacts et des avocats.

Nous avons finalement eu un rendez-vous et un message nous disant d’aller à Moscou où de nouvelles instructions suivraient.

Maintenant nous y sommes, dans le hall d’un hôtel russe. Il n’y a pas de plan B et tout semble incertain et impossible à prédire. Les mesures de sécurité, les préocupations et le besoin de contrôle total des semaines passées, ont maintenant été réduits à attendre silencieusement, impuissante, dans un fauteuil couleur crême.

Dans la matinée, notre contact nous dit d’être à l’hôtel, qu’il nous a indiqué sur une grande carte de Moscou, à 12h45. On nous a fait acquiescer silencieusement.
Maintenant nous craignons d’avoir accepté trop vite.

— Es-tu sûre que c’est l’endroit qu’il nous a indiqué ?

12h45 devient 13h qui devient ensuite 13h25.

Et si on était au mauvais endroit ?

Au bout d’un moment, nous prenons la carte et commençons à chercher des bâtiments et hôtels que nous aurions pu confondre avec l’endroit où nous nous trouvons. Comme demandé, nous avions laissé nos téléphones à notre hôtel, tout comme notre contact. Aucun de nous ne pouvait joindre l’autre si quelque chose n’allait pas, et il n’y avait pas de plan B.

Le hall est rempli de militaires russes. Des hommes bas du front entrent et sortent des ascenseurs, leurs grades visibles sur leurs poitrines et dans leurs yeux.

Au bout d’un moment, nous commandons du thé et des croissants pour nous fondre dans la foule. Nous croyons voir partout de mystérieux employés de l’hôtel et des clients qui détonnent. Comme si nous avions atterri dans un film de Roy Andersson dans lesquel vous ignorez si les figurants sont des acteurs ou si les acteurs sont des figurants.

Cette femme qui pointe une caméra dans notre direction. Cet homme à côté d’un pilier qui parle au téléphone depuis un temps étrangement long.
Nous rions, nous disant l’un l’autre que nous sommes paranoïaques.

Et, enfin, notre contact apparaît.

Le contraste alors que nous nous tenons devant le lieu de rendez-vous me surprend. Soudain tout fait complètement sens. Toutes les craintes que nous avions, que l’interview puisse être annulée ; que quelque chose puisse arriver — jambe cassée, maladie, problèmes de visa — semblent s’être évaporés.

Edward Snowden ouvre la porte. Je m’assois sur le canapé. Étrangement, on a l’impression que c’est un endroit où l’on pourrait passer n’importe quel mercredi pour bavarder.

La réalité est bien sûr moins simple.

Depuis qu’Edward Snowden a déclaré publiquement en juin 2013 être le lanceur d’alerte à l’origine des fuites d’informations confidentielles qui ont révélé la surveillance de masse de ses propres citoyens par les États-Unis, il a été une des personnes les plus recherchées. S’il retourne aux États-Unis, il risque la prison à perpétuité. La Russie, qui n’aurait dû être qu’une étape de son voyage vers Cuba, est jusqu’à présent le seul pays lui ayant accordé l’asile. Ce qui en fait le seul endroit sûr pour lui.

Deux ans et demi ont passé. Edward Snowden — qui est devenu un symbole de la liberté d’expression, une icône, un visage sans corps parlant sur écran géant à travers des liens hypertextes — nous accueille avec un sourire désarmant et un carnet à la main.

Il demande aussitôt ce que nous voulons manger. Et a l’air tellement décontracté, dans sa chemise noire et son costume trois-pièces, que c’est comme s’il allait faire du jogging. S’il en avait l’envie.

Comment allez vous ?

Il sourit.
— C’est difficile pour moi de dire comment ça se passe, parce que tout ce que je dis sera utilisé par les critiques américaines. Si je dis quelque chose de bien à propos de la Russie, vous savez, comme « ce n’est pas l’enfer », alors ils diront « il est tombé amoureux du Kremlin » ou quelque chose comme ça. Si je dis quelque chose de terrible, c’est la même chose. Ils diront alors « oh, il n’est pas bien en Russie, vous savez, c’est la misère pour lui ».
— Alors en général, j’essaye de ne pas en parler.

Je lui dis que j’ai entendu dire qu’il vit comme un chat d’intérieur en Russie.

D’un autre côté, vous pourriez aussi vivre comme un chat d’intérieur à Hawaii, où vous avez vécu. A quel point votre vie a-t-elle changée ?

— L’état de « chat d’intérieur » est volontaire, c’est ainsi que j’ai toujours vécu. A Hawaii, de temps en temps, ma copine me traînait hors de la maison, dans le beau paradis que c’était. Mais généralement, je passe la plupart de mon temps à penser ou bien sur Internet. Je ne suis pas le genre de personne à sortir pour aller quelque part. Au lieu de ça, je préfère avoir une conversation, penser, préparer un plan ou un projet. Chacun a sa personnalité et c’est ce genre de vie que j’ai. Actuellement c’est extraordinaire… À cause de mon style de vie, à cause de mon implication sur Internet je travaille plus maintenant que je ne l’ai jamais fait. Et je pense que j’ai plus d’impact.
— Oui bien sûr j’ai perdu des choses, oui j’en paye le prix : je ne peux pas rentrer chez moi.

Qu’est-ce qui vous manque le plus ?

— Ma famille. Bien sûr. Comme pour tout le monde. Mais je ne regrette pas les choix que j’ai faits. Je peux toujours voir ma famille quand ils viennent me rendre visite ici. Je peux toujours communiquer avec n’importe qui, n’importe où. Je parle régulièrement dans les plus prestigieuses universités des États-Unis pour les étudiants qui se préoccupent réellement de ces problématiques.
— À une époque, quand les gens étaient en exil, ils perdaient leurs liens, leur importance, leur influence dans le débat politique. C’est pourquoi l’exil, en tant que stratégie de réponse à la dissidence politique, a toujours été si populaire, qu’il s’agisse de l’URSS déportant des auteurs inconvenants ou des dissidents américains qui se rendaient à Cuba. Mais la technologie est en train de changer ça. L’exil, en tant que stratégie, commence à ne plus fonctionner.
— C’est quelque chose d’encourageant et quelque chose qui me guide pour mes travaux futurs : comment puis-je aider des activistes et des dissidents ayant quelque chose à dire, ayant à contribuer à la direction que prennent leurs sociétés ? En surmontant ces difficultés et en affirmant que, peu importe où je suis, ma voix sera entendue. Et je pense que là-dedans, il y a quelque chose d’extraordinairement puissant, qui commence à réellement menacer les gouvernements.

Le 29 septembre de cette année, il a posté son premier tweet : « Can you hear me now ? » Et les gens l’ont entendu. Edward Snowden a atteint 1,5 million de followers en un rien de temps. Lui-même ne suit qu’un seul compte : le compte officiel de la NSA. Son humour noir brille dans beaucoup de ses tweets.

L’un des premiers dit : « Merci pour l’accueil. Et maintenant, y’a de l’eau sur Mars ! Vous croyez qu’ils vérifient les passeports à la frontière ? C’est pour un ami. » Quand Michael Hayden, ancien directeur de la NSA et de la CIA, insinua que Snowden serait tué à Moscou, Snowden écrivit « Je l’ai connu plus amusant », joignant une photographie d’eux souriant ensemble.

En même temps, il fait montre d’une passion s’étendant par-delà la surveillance de masse, à des problématiques tenant à la démocratie de manière plus générale. Après l’attaque d’octobre à Kunduz, quand les USA ont bombardé un hopital afghan, il exprima une flopée de commentaires, relayant des informations telles que « Pas un seul membre de notre personnel n’a fait état de combat dans les bâtiments de l’hôpital avant la frappe US », tweetant des captures d’écran citant la Convention de Genève et énonçant la nécessité d’une enquête indépendante.

Edward Snowden dit que l’aspect le plus important des médias sociaux, c’est de pouvoir sortir les choses de manière directe.

— Vous pouvez prendre l’histoire et en citer la partie pertinente, et ce faisant signaler si les medias n’en ont pas fait les gros titres, ou si quelqu’un désinforme le public intentionnellement ou dans un but politique. Vous pouvez révéler les faits. Je pense que c’est très précieux.

Vous vivez à l’heure américaine ou russe ici, à Moscou ?

— Avant-hier, je ne me suis couché que vers 4h30 du matin. Quelques jours auparavant, je m’étais couché vers 9h30. Je suis très occupé depuis quelques mois ; je travaille pour des organisations telles que l’ACLU (American Civil Liberties Union). Tout ce que je fais, ou presque, toutes mes associations, tout mon travail se fait en anglais, ce qui m’empêche d’apprendre le russe. Et avec huit à dix heures de décalage horaire, c’est difficile. Quand je dois faire une intervention à 21h, heure du Pacifique (UTC-8), il est 4 heures du matin en Russie. Mais je suis plutôt un oiseau de nuit. J’aime la nuit, son calme, il n’y a pas beaucoup de circulation. La vie y est plus simple.

Le premier tweet d’Edward Snowden faisait référence à une célèbre publicité pour le géant américain des télécoms, Verizon, dans laquelle un homme, dans différents contextes, téléphone mobile à l’oreille, demande si son interlocuteur l’entend bien. La première histoire de Snowden, publiée en juin 2013, montrait que la NSA avait accès à toutes les données que Verizon possédait sur ses clients.

Plus tard, on a détourné sur Internet la pub de Verizon avec une autre très connue. L’homme de Verizon demandant : « Vous pouvez m’entendre maintenant ? ». Et Obama répondant : « Oui, nous le pouvons » (« Yes we can »).

Snowden faisait partie de ceux qui croyaient aux promesses de changement d’Obama, qui promettait pendant la campagne présidentielle la « plus grande transparence de l’administration jamais vue jusqu’à présent ».

Il chantait les louanges des lanceurs d’alerte, les qualifiant de « nobles et courageux », déclarant qu’il ne devait plus y avoir d’espionnage sur les citoyens américains non suspects de crime, plus de traque des citoyens qui ne font que protester contre une guerre mal conduite, ne plus faire comme s’il n’y a pas de loi quand ça ne nous arrange pas. Soutenu par l’Espionage Act, il a dès lors fait la chasse aux fuites avec une sévérité toujours renouvelée. Pendant l’administration Obama, 8 personnes ont été poursuivies au total, pour le moment un record dans l’histoire des États-Unis

Avez-vous le droit de voter ?

Edward Snowden rit.

— Eh bien on va le découvrir. Assurément je vais essayer ! C’est symbolique, explique-t-il.
— Je leur enverrai mon vote par courrier. Ce n’est pas comme si ça allait compter de manière significative car peu de votes sont envoyés par courrier. Mais ce n’est pas l’objectif, l’objectif est l’expression du vote.

Avez-vous décidé pour qui vous allez voter ?

— Non, pas encore.

Hillary Clinton ou Donald Trump ?

— Haha. Si… Non. Je ne devrais pas dire ça, c’est trop incendiaire.

Je demande s’il a vu le candidat présidentiel démocrate débattre l’autre nuit. Le sénateur Bernie Sanders a défendu Edward Snowden, affirmant qu’il avait joué un rôle important dans la diffusion de la connaissance au peuple américain. Hillary Clinton, cependant, a affirmé qu’il avait violé la loi américaine et qu’il avait dérobé d’importantes informations qui étaient « tombées entre de mauvaises mains ». C’est aussi ce que les critiques d’Edward Snowden pointent du doigt. Que les documents puissent avoir atterri chez les Russes ou chez les Chinois, et qu’il aurait dû revenir aux États-Unis et être amené devant la justice pour ce qu’il a fait, plutôt que de vivre dans un pays comme la Russie, devenant dépendant de Poutine. Qu’il aurait dû mener la lutte au pays, plutôt que de s’enfuir.

Edward Snowden lui-même a dit savoir combien de documents il transportait lorsqu’il s’envola de Hong Kong pour Moscou : zéro. Pour éviter le moindre risque, il avait déjà tout transmis aux journalistes qui ont publié les révélations.

— J’ai vu le débat en direct. C’était en fait extraordinairement encourageant. En 2013, ils réclamaient que je sois pendu. Ils utilisaient le mot « traître » et d’autres comme « sang sur les mains ». Personne sur un plateau, autant que je sache, n’utilise le mot « traître » aujourd’hui. En seulement deux ans, c’est un changement incroyable.

Il dit que ça a pris 30 ans pour que cela arrive à Daniel Ellsberg, l’un des plus célèbres lanceurs d’alerte de tous les temps, qui a fait fuiter des documents secrets sur la Guerre du Viêt-Nam dans les années 1970.

Suite aux révélations de Snowden, le Président Barack Obama s’est montré ouvert au débat sur la surveillance, mais a également dit que la publication des documents avaient « causé du tort aux États-Unis et à nos moyens de renseignement, qu’il y aurait eu d’autres façons d’avoir cette conversation sans causer tant de dégâts ». Pendant le débat sur l’investiture démocrate à l’élection présidentielle, Hillary Clinton s’est exprimée dans ce sens, à propos de la tradition américaine de protection des lanceurs d’alerte.

— La tradition américaine au sujet des lanceurs d’alerte est d’essayer de les enterrer, dit Edward Snowden.
— Mais Hillary Clinton a été durement bousculée pour cela dans la presse. Ils disent qu’elle a tort légalement, historiquement, et même rhétoriquement, parce que tout le monde sait que ce n’est pas vrai.

Les lanceurs d’alerte comme Edward Snowden, Daniel Ellsberg et Chelsea Manning, qui ont fourni des documents secrets à Wikileaks, peuvent tous en témoigner. Et ce n’est pas fini.

En 2007, des agents du FBI ont opéré des descentes au domicile de personnes qui travaillaient ou avaient travaillé à la NSA, et qui avaient tenté de lancer l’alerte sur un programme de surveillance de masse qu’ils estimaient être hors de contrôle. Un homme a été traîné de force hors de sa douche, un pistolet sur la tempe, devant sa famille. Un autre homme a ouvert sa porte, pour retrouver sa maison envahie par des agents en noir munis de vestes en Kevlar, fouillant sa maison jusque tard dans la nuit. La maison de Thomas Drake, un haut responsable de la NSA, a été fouillée, son passeport a été annulé, et il vivait sous la menace de 35 ans d’emprisonnement, et ce pendant quatre ans, poursuivi sous couvert de l’Espionage Act. Il a perdu son travail, sa pension, et a dépensé tout ce qu’il avait en frais d’avocat. Aujourd’hui, il travaille dans un Apple Store dans le Maryland et a été capable d’établir qu’il avait été la seule personne à avoir été poursuivie après avoir tenté de parler de la surveillance de masse à ses supérieurs.

Il y a des gens qui ont dédié leur vie au gouvernement des États-Unis. Beaucoup d’entre eux ont travaillé avec les services de renseignement pour la NSA pendant plus de 30 ans. Ce qu’ils reprochent, c’est que les États-Unis ont écouté et enregistré leurs propres citoyens, alors que la constitution américaine acte clairement que tous les Américains ont le droit « d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées » (ndlqdn : par le 4e amendement, https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatri%C3%A8me_amendement_de_la_Constitution_des_%C3%89tats-Unis).

De même, des personnes extérieures à la NSA ont essayé de demander ce qui s’y passait. Un avocat du Département de la Justice s’est éclipsé d’un déjeuner, pour appeler un journaliste du New York Times depuis une cabine téléphonique dans le métro. Après un appel du FBI, il a démissioné.

Une femme à la Commission Permanente de la Chambre des Représentants des États-Unis a vu sa maison perquisitionnée par le FBI à six heures du matin parce qu’elle avait posé des questions au sujet du programme.

Le problème récurrent : il n’y avait pas de documents, il n’y avait pas de preuves.

Edward Snowden a déjà parlé de l’importance de Thomas Drake, un cadre supérieur à la NSA.

Vous avez dit que s’il n’y avait pas eu Thomas Drake…

— …il n’y aurait pas eu d’Edward Snowden. Il a utilisé toutes les ficelles pour essayer de sonner l’alarme. On voit ça dans la théorie des jeux, dans les études sociologiques. Typiquement, à chaque fois que vous jouez une manche dans un jeu, les gens en savent un petit peu plus. Ils changent leur stratégie et répondent en fonction, ainsi la façon dont les gens jouent à la dixième manche est très différente de celle dont ils jouent à la première manche.

Et vous avez appris de Drake…

— Et même de Manning. J’ai appris beaucoup sur la façon de réagir du gouvernement. Qu’arrive-t-il quand vous tentez de dénoncer des violations de la loi à ceux qui ont ordonné ces mêmes violations ?

Était-ce la surveillance de masse ou les mensonges qui vous ont le plus excédé ?

Début 2013, alors que je pouvais encore faire marche arrière, j’ai vu James Clapper (Directeur du renseignement national) lever sa main et jurer de dire la vérité : « Est-ce que la NSA collecte quelque donnée que ce soit sur des millions, ou centaines de millions, d’Américains ? » « Non monsieur » « Elle ne le fait pas ? » « Pas sciemment ».

Mentir dans ces circonstances est un crime.

L’année précédente, le Congrès avait interrogé Keith Alexander, le Directeur de la NSA. Ses réponses étaient les mêmes. Est-ce que la NSA intercepte systématiquement les mails des citoyens américains ? Non. Est-ce qu’elle intercepte leurs conversations sur téléphone portable ? Non. Les recherches sur Google ? Non. Les SMS ? Non. Les commandes sur Amazon ? Non. Les mouvements bancaires ? Non.

Non seulement Edward Snowden savait qu’ils mentaient, mais aussi que l’étendue de la surveillance était bien plus importante que l’on pouvait l’imaginer. En 30 jours, la NSA interceptait plus de trois milliards de conversations individuelles, seulement à partir des systèmes de communication américains. 97 milliards de mails et 124 milliards de conversations téléphoniques à travers le monde, en seulement un mois.

A son bureau, Snowden pouvait écouter n’importe qui (des citoyens lambda, des experts-comptables, des juges fédéraux) à partir d’une simple adresse mail.
Être un lanceur d’alerte n’est pas lié à qui nous sommes, mais à ce que l’on a vu. Ce sont les circonstances qui font le lanceur d’alerte, tout le monde peut le faire. Il s’agit d’observer, de réfléchir et, éventuellement, d’y répondre. Cela prend un certain nombre d’années. Quand je me suis aperçu de ce qu’il se passait, je ne pouvais pas le croire. J’ai grandi dans l’ombre de la NSA, ma mère travaillait pour le gouvernement fédéral, mon père et mon grand-père étaient dans l’armée. Je ne pouvais pas croire que le gouvernement nous mentait. Mais finalement, les preuves se sont accumulées et je n’ai plus pu l’ignorer. ? Quand j’étais à la NSA, à discuter avec mes collègues, on voyait l’affaire de Thomas Drake dans les médias, et…

Vous en parliez au travail ?

Vous savez, « ça craint d’être ce type ». Quand finalement j’ai voulu faire quelque chose — je savais que ces programmes étaient injustes et je songeais à franchir le pas — je voulais être sûr de ne pas être fou. Donc j’ai montré à mes collègues et cadres des documents qui, par exemple, disaient qu’on interceptait plus de données sur les Américains aux États-Unis que sur les Russes en Russie, et je leur ai dit que ça n’avait pas de sens.

Et vous vous sentiez en sécurité de parler de ça au travail ?

Oui, tout le monde parle boulot. Ce n’est pas comme si les gens à la NSA étaient des méchants de comics. Personne n’est là à se demander « comment pourrais-je détruire la démocratie ? ». Ce sont de bonnes personnes qui font de mauvaises choses pour ce qu’elles croient être de bonnes raisons. Elles pensent que la fin justifie les moyens.

Donc il n’y a pas de culture du silence ?

Oui et non. Quand on parle à ses collègues, on leur parle en toute confiance. On est seul avec eux. On dit « Qu’est-ce que tu penses de ça ? Tu penses que c’est juste ? C’est de la folie. » Mais ce qu’on voit est restreint. On ne sait pas ce qu’il se passe dans le bureau d’à côté. C’est un bureau sans étiquette, avec seulement des lettres et des numéros. Et on ne sait pas comment sa pièce s’intègre dans le puzzle global.

Grâce à ma position, j’avais une autorisation appelée PRIVAC — accès privilégié — qui me permettait de voir outre ces limites. Je pouvais voir le puzzle entier, ce que la plupart des gens ne pouvaient pas. Donc quand je leur parlais de ça, ils étaient très préoccupés, mais en même temps ils me disaient immédiatement : « N’en parle à personne. Tu sais ce qui arrive aux types comme ça. Si tu dis quoi que ce soit ils te détruiront. »

Quand Daniel Ellsberg, à l’origine de la fuite des Papiers du Pentagone en 1971, décida de devenir un lanceur d’alerte, il dut sortir clandestinement de son bureau 7000 pages de documents classés secrets. Nuit après nuit, il a copié des pages sur une photocopieuse Xerox, qui ne pouvait sortir, lentement, qu’une page à la fois. Pour gagner du temps, Ellsberg a renoncé à fermer les paupières après un certain temps, en se demandant s’il deviendrait aveugle avant ou après s’être fait emprisonner.

Edward Snowden n’a pas eu besoin de photocopier ses documents. Certaines choses sont devenues plus faciles avec les années, alors que d’autres sont tout aussi difficiles. Le risque de se faire prendre. Et les campagnes de dénigrement qui s’ensuivent.

Daniel Ellsberg s’inquiétait énormément que ses enfants se mettent à le haïr ; Il a senti qu’il devait essayer d’expliquer ce qu’il faisait.

Edward Snowden rit, en acquiescant d’un signe de tête.

— Oui, je pense que son fils l’a vraiment aidé à photocopier. Mais, pour autant que je sache, vous ne pouvez pas accuser un petit enfant d’espionnage.
Il dit que cela aurait été différent, s’il avait demandé l’aide de sa petite amie ou de sa famille. Cela en aurait fait des complices. Alors, tout ce qu’il fit fut de laisser une note à la maison de Elue Street à Hawaii, où il vivait avec sa petite amie, disant qu’il devrait partir pour le travail.

C’est le problème : vous ne pouvez pas leur dire. J’avais tout préparé, de sorte que ma famille pourrait couper les ponts quand je serais condamné, si les choses se passaient mal. Et je m’étais fait à l’idée ; j’étais préparé à l’accepter.

Lancer l’alerte fut quelque chose qu’il fit pour son propre intérêt, dit-il. Il ne l’a jamais vu comme un acte de sacrifice.

— J’ai tout simplement vu quelque chose, et réalisé que vous devez croire en quelque chose. Et si vous croyez en quelque chose, vous devez être capable de le porter. Je n’aime pas l’idéologie du sacrifice. Si une société demande à son peuple de s’immoler, elle va très vite se retrouver à court de volontaires. Je ne crois pas en l’altruisme. Cela peut être une bonne chose dans certains cas, mais pas dans les cas extrêmes. C’était quelque chose qui m’a fait me sentir bien, dont je pouvais être fier.

Toute votre vie

— Oui, même si la vie était courte. Je n’aime pas cet étiquetage [de héros qui se sacrifie], parce que ça amène à ne faire qu’attendre Superman. Les gens se disent « on a besoin d’un héros, mais ce n’est pas moi » et « ces gens ont fait des super choses, mais j’espère tellement que quelqu’un y fasse quelque chose ». Mon amie m’a compris, comme elle m’a dit : « C’est pour ça que je suis tombée amoureuse de toi ». Mais elle était en colère contre moi. Pour de bonnes raisons.

Le 20 mai 2013, il a mis dans un sac quatre ordinateurs portables et tellement de documents classifiés que personne ne sait exactement combien. La seule chose dont on peut être sûr, c’est que les estimations des autorités britanniques étaient bien basses quand, après les révélations, elles sont allées au Guardian leur dire : « Nous sommes parfaitement au courant de ce que vous avez… nous pensons que vous possédez 30 à 40 documents. Nous nous inquiétons de leur sécurité ». Même la NSA ne savait pas de combien de documents nous sommes en train de parler. Ils estiment qu’Edward Snowden avait accès à un total de 1,7 millions de documents et qu’il a fourni 50 000 à 200 000 documents aux journalistes, Glenn Greenwald et Laura Poitras.

Le passif d’avec les précédents lanceurs d’alerte lui ont appris qu’il avait besoin de documents pour prouver ses dires, pour que personne ne puisse les écarter comme un tissu de mensonges. Il a également pris plusieurs mesures de précaution :

Il a quitté le pays avant les publications

Il a été transparent sur ses opérations, pour bien montrer qu’il agissait selon sa propre volonté, et qu’il ne travaillait pas pour une puissance étrangère.

Il n’a rien publié de lui-même, mais a laissé les journalistes faire le tri.

Il a choisi des journalistes qui avaient démontré qu’ils ne se laisseraient pas influencer par la Maison Blanche

Il a rendu son nom public, afin d’éviter à ses collègues d’être soupçonnés.

Laura Poitras était une journaliste et une réalisatrice qui avait été nominée pour les Emmy et les Academy Awards et qui, comme Thomas Drake, a vécu les méthodes d’un régime totalitaire qui peuvent s’accomoder dans une démocratie. A la suite de son documentaire sur la guerre en Irak, My country, my country, de 2006, elle fut constamment harcelée. Elle a été arrêtée plus de 40 fois en revenant aux États-Unis après avoir voyagé à l’étranger. À chaque fois ils l’ont retenue, souvent trois ou quatre heures, et l’ont interrogée à propos des personnes qu’elle a rencontrées et où elle a été. Son ordinateur, son appareil-photo, et son téléphone portable ont été confisqués pendant des semaines. Ils ont copié sa carte de crédit et les tickets de caisse à de multiples occasions. Ils lui ont même pris son calepin.
Poitras a développé ses propres techniques. Elle a arrêté de voyager avec des appareils électroniques. Elle est devenue experte en chiffrement. Et elle évitait de parler de son travail au téléphone.

Après avoir été détenue et menacée, menottée, à l’aéroport de Newark, elle a contacté le journaliste Glenn Greenwald, qui avait écrit un article sur elle en avril 2012.
Pour Edward Snowden, Gleen Greenwald et elle étaient les meilleurs choix.

Laura Poitras a finalement déménagé à Berlin pour protéger ses données. Glenn Greenwald est un ancien avocat, maintenant journaliste, qui vivait à Rio de Janeiro, et écrivait pour Le Guardian. Le problème était que Glenn Greenwald n’avait pas de programme de chiffrement, il ne réussit pas non plus à en installer un. Les mois passèrent. Edward Snowden continuait de lui envoyer des mails sous le nom de code « Cincinnatus ».

Jamais vous n’avez pensé abandonner ?

— Mon plus gros problème a été de lui faire accepter mon sérieux. Je veux dire, si quelqu’un sur Internet vous dit : « Hé, j’ai quelque chose que vous devriez voir, journaliste untel. C’est au sujet d’un machin sur la surveillance de masse du gouvernement. » Vous allez dire : « Ah… mec, j’ai un autre mec qui pense que les aliens diffusent des messages dans les dents des gens. »

Il sourit, disant que cela ne l’ennuie pas particulièrement. Par contre il continua à envoyer des instructions chiffrées. Pendant des mois.

— Essayer de motiver Glenn Greenwald était comme d’essayer d’apprendre à un chat comment danser. Mais je le comprends tout à fait. Le problème est le langage qu’ils utilisent dans les programmes de chiffrement, de l’apprendre aux gens. Ils parlent de clés publiques et de clés asymétriques et personne ne sait ce que veut dire ce charabia. Mais j’ai toujours aimé le principe d’enseigner. Quand j’étais jeune, j’avais envie de faire tout un tas de choses, et enseigner était l’une d’entre elles.

Le documentaire Citizenfour montre Laura Poitras et Glenn Greenwald rencontrant Edward Snowden à Hong-Kong pour la première fois. Quelle fut leur surprise quand ils ont découvert que leur source venait d’avoir 29 ans et qu’il portait un t-shirt et un jeans, au lieu de l’homme âgé en costume-cravate auquel ils s’attendaient. Pour Ewen MacAskill, qui avait été envoyé du Guardian afin d’évaluer la crédibilité de la source, toutes les sonnettes d’alarme se sont déclenchées quand il a rencontré Edward Snowden. Un gars du même âge que ses propres fils lui disait qu’il travaillait pour la CIA à Genève et pour le NSA au Japon et à Hawaii. Quand il racontait qu’il avait servi dans les Forces Spéciales et qu’il s’était cassé les deux jambes, Ewen MacAskill pensait qu’il en rajoutait. Au même moment, il recevait des documents qui prouvaient tout. Et quoi qu’ils lui demandaient, il leur donnait des réponses longues, complètes et détaillées. Finalement, MacAskill fut convaincu et envoya son feu vert à son retour au Guardian : « C’est tout bon » (The Guinness is good)

Vous sembliez très calme au milieu de tout ça. Vous êtes même allé au lit à dix heures et demie chaque soir et sembliez dormir comme un bébé.

— Ouais, quelque chose comme ça. Je veux dire, c’est vraiment bizarre, je ne me souviens pas vraiment de grand-chose de cette période. J’étais tellement concentré – tout le monde était tellement concentré – j’étais dans un état où je fonctionnais, travaillais, en étant très lucide.

Mais quand j’ai regardé Citizenfour, c’était presque comme des infos pour moi, parce que ce n’était pas dans ma mémoire comme une expérience vécue, car j’étais trop concentré sur la transmission de l’information.

C’était genre : cette diapo montre que… Veut dire ceci… Explique cela… Aucun de nous ne savait quand quelqu’un allait défoncer la porte. Tout cela était très professionnel, hyper professionnel.

Donc quand vous paraissiez calme, c’était simplement que vous étiez ailleurs.

— Je pense effectivement que c’est une réaction de stress. Je ne suis pas très émotif. Je ne suis ni très colérique, ni très triste, ni très joyeux. Je suis assez flegmatique et ceci vaut pour beaucoup de gens dans l’informatique.

Ce genre de stéréotype du jeune informaticien autiste, qui…

… qui regarde vos chaussures au lieu des siennes, s’il est extraverti…

— Haha. Ouais, c’est ça, c’est ça, c’est ça. Je ne suis pas comme ça. J’ai une relation très enrichissante qui dure depuis longtemps. Mais toutes les petites amies que j’ai eues, à chaque fois que nous nous disputions ou quelque chose comme ça, disaient « tu es un robot sans émotion ». Parce qu’elles étaient bouleversées et je pensais logiquement « quel est le problème ? », « que puis-je faire pour qu’elle se sente mieux ? » puis « oh non, ne pleure pas ! ». En tant qu’ingénieur, toute ma vie professionnelle a été de trouver un problème et de le résoudre. Mais quand on en vient au relationnel, les gens ne sont pas des machines ou des ordinateurs…

Je ris. En disant qu’il ne peut pas être un cas sans espoir, tout en sachant qu’il a fait venir sa petite amie de loin. En Russie.
Il sourit.
— Ouais…

Il fait une pause.
— C’était assez incroyable. Qu’elle ne me déteste pas pour toujours, parce qu’elle ne savait pas. Elle ne pouvait pas savoir.

Etait-elle en colère ?

— En fait elle a compris, car elle a dit : « C’est pour ça que je suis tombée amoureuse de toi ». Mais elle était assurément énervée contre moi. Pour de bonnes raisons.

La première fois que vous avez écrit à Laura Poitras, vous avez écrit que vous saviez déjà comment cela allait se terminer pour vous.

— J’avais tort. Quand j’ai écrit ça, j’avais un tout autre futur en tête. Je n’avais jamais esperé réussir à quitter Hawaii. Je pensais que je serais immédiatement arrêté.

Pourquoi la Russie ?

— Je n’ai pas choisi la Russie. Ce sont eux qui ont choisi la Russie.

Pensez-vous qu’il s’agisse d’un choix réfléchi de la part des États-Unis ?

— Oui, je pense. Je veux dire, ils disaient qu’ils craignaient que je commence à travailler pour les Russes, ce qui est ridicule pour de nombreuses raisons.

Et vous vous êtes retrouvé bloqué en Russie lorsqu’ils ont annulé votre passeport ?

— Oui. Ne devraient-ils pas faire tout leur possible pour s’assurer que je quitte ce pays ? Mais au lieu de cela, alors que j’ai fait des demandes d’asile dans 21 pays différents partout dans le monde, la grande majorité en Europe Occidentale, le gouvernement américain téléphonait à chacun de ces pays, leur disant : « Ne le faites pas ! ».

Le président Vladimir Poutine a comparé Snowden à un « cadeau de Noël non désiré », mais la Russie lui a finalement accordé l’asile, et le 1er août 2013 Edward Snowden a pu quitter l’aéroport.

L’aéroport Sheremetyevo de Moscou devait initialement être une étape de son voyage jusqu’à Cuba. Des journalistes du monde entier avaient déjà acheté des billets pour le vol Aeroflot SU150 à destination de La Havane, à cause de rumeurs disant qu’Edward Snowden avait un billet pour la rangée 17 dans cet avion. Un correspondant pour le journal finnois HelsinginSanomat avait pioché le ticket gagnant, réussissant à réserver le siège 17 F, mais quelques minutes avant le départ, il devint clair que les journalistes allaient voler seuls jusqu’à Cuba, sans Snowden. Un journaliste de l’Associated Press tweeta une photo du siège vide avec la légende « Il n’est pas là ». Quelques journalistes russes essayèrent de voir le côté positif, criant « Voyage au champagne ! Voyage au champagne ». Suite à quoi les membres d’équipage informèrent sèchement que le vol de douze heures jusqu’à Cuba était un vol sans alcool.

Plus tard, le correspondant finnois déclara qu’il avait regardé « Les Muppets » durant la totalité du vol, ce qui semblait approprié à la situation.

Si les Américains avaient été inquiets qu’Edward Snowden puisse commencer à travailler avec les Russes, cela aurait été la corrrespondance la plus rapide de l’histoire de l’aéroport. Au lieu de cela, il était désormais bloqué en Russie.

— Au départ, je pense juste qu’ils ont paniqué. Ils s’attendaient à ce que le gouvernement de Hong Kong me tourne le dos. Et quand j’étais en vol pour Moscou, ils avaient genre dix heures pour se décider. Ils ont décidé de geler mon passeport et ne sont pas revenus sur cette décision, jamais. À ce moment, c’était une attaque émotionnelle, où ce que j’avais fait n’importait pas. C’était plus « Russie, Russie, Russie », car la Russie a une vraiment mauvaise réputation internationale en ce moment. Ils pourraient m’attaquer avec ça. Mais j’en sais rien.

Questionné par les États-Unis sur la façon dont Edward Snowden avait pu franchir le contrôle des passeports de l’aéroport Chek Lap Kok sans être stoppé, Hong Kong déplora un manque d’information. Chose que les États-Unis, à leur tour, ont rejeté.

Les documents qui furent envoyés aux pays nordiques par les autorités américaines semblent également avoir été rédigés dans la précipitation.

L’un d’entre eux dit : «Bonjour, j’espère que vous allez bien. Je vous envoie une annonce que notre service fournit à plusieurs de nos partenaires, concernant la situation actuelle du citoyen américain Edward Snowden. Cette information vous est fournie dans l’éventualité où il pourrait pénétrer dans votre pays depuis sa localisation actuelle à Moscou. S’il vous plait, prenez la liberté de m’appeler ou de m’envoyer un mail si vous avez des questions. Merci. » Dans la demande légèrement plus formelle envoyée séparément (à la Norvège en tout cas, et certainement aussi aux autre pays nordiques), l’ambassade américaine affirme son respect pour le ministère des affaires étrangères norvégien, leur demandant d’informer immédiatement l’ambassade et d’assurer l’extradition de M. Snowden vers les États-Unis si celui-ci devait apparaître. S’il était possible de faire confiance aux pays nordiques pour aider les États-Unis dans la recherche de Snowden, la confiance des États-Unis vis à vis du président bolivien Evo Morales en vol depuis Moscou pour revenir au pays fut considérablement amoindrie. Sous divers prétextes, pays après pays, France, Portugal, Espagne et Italie refusèrent soudainement de permettre à l’avion présidentiel de franchir leur espace aérien. L’avion fut obligé d’atterrir à Vienne car on le suspectait de cacher Snowden à bord.

Le président bolivien était furieux, accusant l’Europe de faires les courses des États-Unis.

Quand on en vient aux enlèvements de la CIA, aussi appelés « restitutions extraordinaires », le Parlement Européen a, lors d’une enquête, estimé à au moins 1245 le nombre de vols dans l’espace aérien européen ou ayant fait escale dans des aéroports européens entre fin 2001 et fin 2005. L’ère de la guerre contre la terreu » est pleine de surveillance, de harcèlement, d’enlèvement, de torture et de prisons secrètes.

En même temps, il ne fait aucun doute que le poids stratégique est élevé quand on parle de relation avec les États-Unis.

— C’est complètement fou, la façon dont le gouvernement américain a géré le problème de la torture. Parce que ça ne fait aucun doute que c’est ce qu’ils ont fait. On a même eu une enquête de la part du comité du renseignement, qui ne fait presque jamais rien de significatif. Habituellement ils agissent plus comme les pom-pom girls de la communauté du renseignement que comme ses chiens de garde. Jusqu’à ce qu’ils obtiennent un rapport qui est si limpide et qu’il y a des indications de personnes dans la CIA qui voulaient en parler, mais qui se sentaient stressées. Certains ont même demandé à être mutés, parce qu’ils ne pouvaient pas faire face aux choses auxquelles ils assistaient et pour lesquelles ils voulaient faire quelque chose. Mais au lieu de trouver un moyen pour que ces personnes puissent dénoncer les mauvais agissements dont elles avaient été témoins, la CIA leur a tout bonnement demandé de cesser d’apporter les preuves de ces abus.

Et la seule personne qui, à ce moment, a été condamnée pour tous ces agissements, est l’officier de la CIA qui a signalé les simulations de noyade.

— Dans leur esprit, il vaut mieux éviter l’embarras et cacher ou dissimuler une mauvaise pratique plutôt que de la corriger, quand bien même cela créerait une plus grande, mais plus lointaine, menace. Au cours des investigations sur les tortures, il a été établi qu’ils n’ont jamais obtenu de renseignements significatifs, bien qu’ils torturaient des gens pendant des années. Le coût de ces pratiques est plus important que ceux engendrés par la logistique pour ces prisons, ou de l’argent que ça a coûté (et nous parlons de centaines de millions, si ce n’est des milliards de dollars des contribuables américains dépensés pour torturer des gens)
A côté du coût humain pour les bourreaux et les suppliciés, il y a un coût en terme de relations internationales. Le fait est que nous demandons des groupes, des institutions et des pays comme la Suède, de permettre les restitutions extraordinaires ou que nous leur permettons, eux ou des pays comme la Roumanie et la Pologne, d’héberger des prisons secrètes. Idem en Thailande, où ils avaient de vrais centres de torture. Ces pays ont commencé à croire qu’il n’y avait pas de problème, qu’il y a des choses qu’ils ont envie de faire, et comme les États-Unis le font, c’est que ça doit être bon. Tant qu’il y a une bonne raison… Mais au final, ces choses se savent. Vous ne pouvez pas tenir un secret aussi horrible bien longtemps. Vous pouvez le garder pendant des années, vous pouvez même espérer le garder pendant des décennies. Mais au final, ça finit par sortir. Et vous payez un coût moral. En vérité, on dépense de l’argent pour se tirer une balle dans le pied.

Alors pourquoi le reste du monde ferme les yeux ?

— C’est légitimé par la menace terroriste. Dites que ça va sauver des vies, et personne ne va s’y opposer, au risque d’avoir du sang sur les mains.

Snowden dit qu’il croit qu’il existe un certain degré de légitime défense, tout comme pour la surveillance de masse.

— Ils ont l’impression que le reconnaître est un signe de faiblesse, ou que ça légitimerait les abus commis dans des pays comme la Corée du Nord, la Russie ou la Chine. Mais en vérité, c’est l’inverse. C’est un signe de force d’être capable de reconnaître ses erreurs, et de montrer qu’elles peuvent être corrigées, que ces pratiques peuvent être réformées.

Le programme des drones crée plus de terroristes qu’il n’en tue. Il n’y avait pas d’État Islamique jusqu’à ce qu’on commence à bombarder ces pays. La plus grande menace que nous affrontons dans la région est née de nos propres actions.

Soudain on sonne à la porte. Le sentiment d’incertitude que nous avions tantôt en attendant au point de rendez-vous s’immisce à nouveau dans la pièce quelques secondes.

Mais Edward Snowden va calmement ouvrir la porte à l’employé du service d’étage. Mon steak — à point — m’est servi, et un hamburger frites pour Snowden. Les autres dans la chambre ont pris du thé et des scones. Il s’agit de la photographe Lotta Hälderlin pour DN, et nos contacts : Ole von Uexküll et Xenya Cherny-Scanlon de la Fondation du Right Livelihood qui a remis à Snowden le Prix Nobel Alternatif l’année dernière. L’annonce des candidats, qui a lieu d’habitude au ministère des Affaires Etrangères suédois, en a été banni temporairement l’année dernière par l’ancien ministre des Affaires Etrangères Carl Bildt. Le père d’Edward Snowden, Lon, y a représenté son fils.

Votre père a déclaré souhaiter que la Suède vous offre l’asile. Vous sentiriez-vous en sécurité en Suède ?

— Tout dépend des circonstances. Mais ce serait un symbole important.

Il est évident qu’il est fier de vous.

Il rit.
— Oui, il est un peu radical à présent. Il n’avait jamais été radical.

Vraiment ?

— Oui ! Il a travaillé pour l’armée durant 30 ans. Il est aussi conservateur que possible.

C’est comme le père de Daniel Ellsberg, qui a fini par le soutenir.

— Exactement. En fait, c’est comme Daniel Ellsberg lui-même : il commandait les marines, et moi je me suis engagé dans la guerre en Irak quand tout le monde manifestait contre. Les gens rentrent dans cette lutte de conservateurs contre libéraux, et ils aiment à se représenter les conservateurs comme des personnes haineuses et froides. Et c’est peut-être vrai pour un petit pourcentage, mais c’est une erreur que de généraliser.

Sous la présidence de Bush, des gens étaient enlevés dans le monde entier, jetés dans des prisons secrètes et torturés. Sous la présidence d’Obama, les enlèvements, les prisons secrètes et la torture ont été remplacés par des listes de personnes à abattre et des exécutions extra-judiciaires menées par des avions sans pilote, des drones.

En octobre de cette année, le magazine en ligne The Intercept a publié des documents confidentiels, les Drone Papers. Ces documents montraient que neuf personnes sur dix tuées par des drones n’étaient pas les cibles visées mais des civils, classés a posteriori comme EKIAS : ennemis tués en action, ce qui présente mieux dans les statistiques. Ils nommaient aussi les personnes qui décidaient qui viser. La Secrétaire d’État Hillary Clinton faisait partie de la chaîne de commandement.

— Ils ne visent pas des individus, ils visent des téléphones. Et ils ne savent pas si c’est le terroriste qui tient le téléphone, ou sa mère. C’est pourquoi tant de frappes touchent les mauvaises personnes, pourquoi tant de mariages se font toucher. L’information qu’ils utilisent est dangereuse et peu fiable. Quand j’ai vu les Drone Papers, ajoute-t-il, je n’ai pas douté une seconde qu’il s’agissait de la plus importante affaire de sécurité de l’année.

Je lui ai demandé de me parler terminologie. Jackpot est utilisé quand ils tuent la personne voulue. Atterrissage quand une attaque de drone vise le portable de quelqu’un. Carte de baseball fait référence aux informations à propos des personnes qu’ils veulent éliminer. Les personnes pourchassées sont appelées objets et affublées de noms comme Brandy, PostMortem, Lethal Aspen, Entrecôte.

C’est quoi ? C’est du jargon ?

— C’est du langage militaire, tout est en acronymes, tout est en euphémismes. On ne parle pas d’assassinats, on dit « éliminations ciblées ». On dit « opération de capture/élimination », même si personne n’est capturé. Ils ont leur propre culture.

C’est comme de la déshumanisation ?

— Il y a beaucoup d’abstraction là-dedans, parce que vous ne voulez pas penser, qu’en fait, vous tuez des gens. Vous ne voulez pas penser au fait que ces gens ont peut-être une famille. Vous préférez les voir comme des objectifs, comme des buts à atteindre, comme un puzzle. On n’a pas envie de s’imaginer en train de pénétrer par effraction dans le cœur d’une infrastructure de communication des plus importantes comme Google. Qu’on est en train de fouiller facilement dans la vie privée de chacun. On préfère imaginer ça comme un élément d’un ensemble qui sera une source intéressante de renseignement. J’ai une citation dans le Drone paper. C’est quand l’ancien directeur du Renseignement National sous Obama explique l’avantage de mener une guerre avec des drones : « C’est certainement un avantage politique — bon marché, pas de victimes américaines, une image de sévérité,… c’est plutôt bien vu chez nous, et c’est impopulaire seulement dans les autres pays. »

Mais on parle de combattre le terrorisme ou de gagner des élections ?

— C’est que c’est toujours gagnant au niveau politique. Il peuvent dire qu’ils agissent. Quand ils prononcent sécurité, ils ne parlent pas de sûreté. Ce dont ils parlent c’est de stabilité. Comme quand il disent qu’ils sauvent des vies en les bombardant. La stabilité est maintenant la valeur la plus importante. Ce n’est pas la liberté, ce n’est même pas la sécurité. C’est tout faire pour éviter le changement. C’est s’assurer que les choses sont prévisibles, façonnables, parce que comme ça on peut les contrôler.

Ou du moins ce qu’on imagine.

— Exactement. On pense qu’elle sont contrôlables.

Jusqu’à ce que l’EI arrive et détruise toute cette idéologie.

— Tout à fait. Comme avec le programme drones, qui crée plus de terroristes qu’il n’en tue. Il n’y avait pas d’État Islamique jusqu’à ce que nous commencions à bombarder ces états. La plus grande menace à laquelle nous faisons face dans cette région est née de notre propre prolitique.

Edward Snowden dit que c’est un sentiment récurrent.

— C’est comme s’ils avaient réfléchi émotionnellement, pas intelligemment. Vous avez cette réponse immédiate qui n’a vraiment aucun sens. Et pour être honnête, quand vous réfléchissez à la politique étrangère des États-Unis de la dernière décennie, c’est la seule manière d’expliquer ce qu’ils font. En effet, est-ce que quelqu’un peut regarder ce que nous dépensons, 15 ans plus tard, et dire que c’était un plan génial, que c’était une grande stratégie qui a vraiment fonctionné. Bien sûr il y a eu des idées lumineuses qui vont dans le bon sens, mais il y a aussi des choses claires comme, par exemple, le fait que le programme drones ne fonctionne pas du tout, et pourtant ils continuent.

Il parle d’un autre document qu’il détient au sujet des Dossiers Drones.

— C’est là qu’il admet qu’il y a un problème avec le programme drones qui crée finalement plus de terroristes qu’il n’en tue.

Edward Snowden dit qu’il reste optimiste.

— Ce qui est important, c’est simplement qu’en publiant ces documents, les lanceurs d’alerte ont affecté à la fois la loi et la politique. Nous ne le savons pas encore vraiment. C’est quasiment certain que le gouvernement, en voyant ces informations devenir publiques, a ordonné des analyses internes dans leur administration. Et désormais, les organisations de défense, les représentants de la société civiles et les organismes non-gouvernementaux, comme l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU), pourront porter des combats légaux pour soutenir tous ceux qui auront vu leurs droits violés par ces programmes. Car avant, en tout cas aux États-Unis, le gouvernement pouvait évacuer ces problèmes des tribunaux en dénonçant le fait que ce sont des spéculations, « vous ne pouvez pas prouver que c’est arrivé ». Même si tout le monde sait que c’est le cas. Et il n’y a pas de meilleure confirmation des mauvaises actions du gouvernement que via les documents de ce même gouvernement détaillant ces mauvaises actions.

Il dit par là que les documents sont très importants pour l’avenir.
— Car s’ils peuvent gagner un combat au tribunal, ils pourront protéger les droits pour une génération entière.

Vous voulez dire que nous autres journalistes ne sommes pas si importants que nous aimons penser l’être ?

— Si mais c’est dommage que la grande presse institutionnelle, les journaux comme le Washington Post ou le New York Times, évitent de rendre compte d’histoires comme celle-ci pour des raisons de concurrence, alors qu’il y a un intérêt significatif du public. Les gros titres sont importants pour sensibiliser le public, pour que les gens votent de façon responsable. Il faut se souvenir que même les juges, même les directeurs d’agences de renseignement, même les parlementaires qui font nos lois, ne sont pas les plus grands génies de nos sociétés. Ce ne sont pas des personnes extraordinaires qui savent tout sur tout. Ils lisent les journaux et s’y informent. La liberté de la presse ne suffit pas. Pouvoir écrire ce que l’on veut ne suffit pas. Les journalistes devraient avoir au moins quelque sens du service public : aider les gens à comprendre ce qu’ils ont besoin de savoir autant que ce qu’ils ont envie de savoir. On ne peut gouverner qu’avec le consentement des gouvernés.
Mais le consentement n’en est pas un s’il ne se fonde pas sur l’information. Daniel Ellsberg a sorti les Papiers du Pentagone dans les années 70. Il dit avoir attendu 40 ans que quelqu’un en fasse autant avec de nouveaux documents. Puis vint Chelsea Manning. Et quatre ans plus tard, Edward Snowden.

Et maintenant, à peu près deux ans plus tard, une nouvelle fuite. Vous parlez d’une hydre : si on décapite un lanceur d’alerte, ou une source, un nouveau prend sa place. Et tout semble aller plus vite. Cette source peut-elle rester anonyme ?

— J’espère. Et qui sait, c’est peut-être moi.

Il y a quelque chose de pratique avec moi : dans un tribunal, quiconque publie des documents datant d’avant Mai 2013 peut m’utiliser comme paravent puisque la NSA n’a jamais identifié tous les documents qui ont fuité.

On sait que vous aviez pris tous ces documents, puisque vous vous en êtes ouvert à la presse, mais la NSA ne sait toujours pas quels documents vous détenez. Donc si des espions faisaient la même chose, ils devraient pouvoir partir avec des documents à n’importe quel moment, sans que personne ne le sache.  ? Oui, exactement. Je viens de parler à un ancien agent du FBI lors d’une conférence de l’ACLU (Union Americaine pour les Libertés Civiles) et il en était venu à la même conclusion. Il m’a dit que le gouvernement avait lancé ces programmes appelés « programmes de menace interne ». En essence, c’est ce genre de systèmes où vous observez vos collègues et leur activité, et les dénoncez si leurs actions correspondent à des symptômes préoccupants. Par exemple s’ils ont des autocollants TOR (un réseau permettant les communications anonymes) ou EFF (Electronic Frontier Foundation, une ONG défendant l’indépendance du cyberespace) et travaillent pour la NSA, on dirait qu’il s’agit d’un conflit d’intérêts, ou quelque chose du genre. Et il faudrait les dénoncer.

En d’autres termes, ils ont retenu la leçon. Lorsque Edward Snowden travaillait à Kunia, à Hawaii, il avait un autocollant disant « la liberté n’est pas gratuite » sur la porte de sa maison. Au travail, il portait souvent un sweater de l’Electronic Frontier Foundation qui parodiait le logo de la NSA. Les serres des aigles tenaient des écouteurs de surveillance en place de clefs. Et sur son bureau, il avait la Constitution des États-Unis.

Les chances pour qu’un agent étranger se promène ainsi, en arborant fièrement ses valeurs, ne semblent pas élevées outre mesure. Et on aurait bientôt besoin d’un service de renseignement pour surveiller les employés du service de renseignement.

Après le 11 Septembre 2011, soudainement plus de 1200 organisations gouvernementales, et presque 2000 compagnies privées se sont occupées de contrôle anti-terroriste. Presque cinq millions d’Américains avaient une sorte d’habilitation de sécurité. Comme cela fut dit : on distribuait les habilitations de sécurité comme des Kleenex.

Même si la NSA est une autorité publique, elle fait partie d’une constellation d’innombrables compagnies privées où beaucoup des fonctions premières ont été externalisées. L’agence emploie environ 30 000 personnes, mais au sein de la NSA on trouve près de 60 000 contractuels employés par des compagnies privées.
Le monde du renseignement a également connu un transfert de pouvoir des agents plus âgés, moins à l’aise avec la nouvelle technologie, vers les jeunes talents comme Edward Snowden qui a été embauché par la CIA à l’âge de 22 ans. Un ancien employé a dit que rien, dans son passé, n’aurait pu l’empêcher d’être jugé apte à recevoir une habilitation de sécurité top-secrète, pour la simple raison qu’il était « trop jeune pour avoir un passé ».

Quand Snowden avait obtenu un poste à l’entreprise de consulting Booz Allen Hamilton à Hawaii, d’où il avait libre accès aux archives brutes de la surveillance de la NSA, la compagnie se vantait, tant en ligne que dans son rapport annuel, du fait que « dans leurs divers parcours personnels, nos collègues et amis de confiance ont ceci en commun : on peut compter sur eux. Quelque soit la situation ou le défi, ils seront là pour nous. C’est cette confiance que porte Booz Allen Hamilton. Vous pouvez compter sur nous. »

Comment donc savez-vous en qui vous pouvez avoir confiance ?

On ne sait pas, bien sûr, répond Snowden.

Il ajoute que l’ancien agent du FBI était parvenu à la même conclusion : que c’était fou que le gouvernement soit à ce point obsédé par les lanceurs d’alerte qui travaillent avec la presse.

Aucun espion dans le monde ne met la presse au courant. Il a aussi remarqué que lorsqu’on demande à un public qui connait le nom d’Edward Snowden, tout le monde lève la main. Qui connait Chelsea Manning ? Beaucoup lèvent la main. Qui connait Thomas Drake ? Quelques-uns lèvent la main. Qui connait le nom de Jeffrey Delisle ? Personne ne lève la main.

Qui est Jeffrey Delisle ?

— Jeffrey Delisle était un espion canadien qui a été arrêté il y a plus ou moins un an. Il a avoué être entré dans un site top secret avec une clef usb, avoir branché la clef usb à un ordinateur, capté toutes les informations du système, et apporté la clef à l’Ambassade de Russie, où il leur a tout vendu directement. C’était il y a quatre ans. Et personne ne le savait.

Les directeurs de la CIA, de la NSA et de la DIA (l’Agence du renseignement de la défense) ont été convoqués devant le Congrès et interrogés sur mes critiques les plus sévères. On les a priés d’apporter toute preuve qu’un intérêt de sécurité nationale aurait été affecté, qu’un individu aurait été touché. Ils n’ont pu présenter la moindre preuve dans aucun des cas cités.

Après les révélations de Snowden, une cour d’appel aux États-Unis a établi que la collecte de données par le gouvernement américain à partir des télécommunications de millions de citoyens était illégale.

Et en même temps il y a un consensus évident parmi ceux qui défendent la surveillance de masse. Un sénateur républicain a dit : « Aucune de vos libertés civiles n’a plus grande importance quand vous êtes mort. »

Un célèbre animateur radio a dit : « Si vous êtes en train de vous décomposer dans un cercueil, vous savez ce que valent vos libertés civiles ? Rien, que dalle, des nèfles. »

En bref : il doit bien y avoir des cas où la sécurité passe avant la loi et les droits civils.

Ce qui est préférable pour les citoyens dépendra bien entendu de la personne à qui vous le demandez.

Un juge fédéral a fait remarquer que les États-Unis ne peuvent mentionner aucun cas où l’analyse des métadonnées collectées par la NSA aurait véritablement empêché une attaque terroriste imminente.

Ce n’est pas la surveillance de masse de la NSA qui a prévenu la tentative d’attaque terroriste sur une avion à destination de Détroit le jour de Noël 2009, ni le projet de bombe à Time Square, ni celui d’attaque du métro new-yorkais. C’est l’observation et le travail de la police traditionnelle qui ont permis d’empêcher cela.

De même, la surveillance de masse a été incapable d’empêcher les massacres qui ont vraiment eu lieu.

Comme le dit Edward Snowden : « si on collecte tout, on ne comprend rien. »

L’idée que la surveillance de masse avait pour but de contrôler les terroristes n’a plus tenu lorsqu’il a été révélé que la NSA avait intercepté les conversation privées d’Angela Merkel sur son téléphone portable. Ou que le GCHQ, le partenaire de la NSA au Royaume Uni, utilisait ses outils de surveillance de masse pour surveiller Amnesty International.

Edward Snowden étend ses bras.
— Excusez l’expression, je ne vais pas le dire, mais … de … (il laisse une pause pour marquer les jurons) en quoi Amnesty nous menace ?

Pourquoi le font-il alors ?

— En fin de compte, c’est la même chose que lorsque quelqu’un place des caméras dans sa maison pour surveiller ce qu’il s’y passe. Même s’il n’y a pas de danger, même si personne ne s’introduit chez lui. C’est la tentation de croire que vous êtes aux commandes. Vous le faites parce que vous pouvez le faire. Cela s’applique également aux employés de la NSA qui ont été pris à utiliser les puissants outils d’espionnage de l’agence afin de surveiller leurs partenaires.

Après les divulgations, le hashtag #NSApickuplines est apparu avec des tweets tel que « Je sais exactement où tu étais toute ma vie » (I know exactly where you’ve been all my life) et « Je suis persuadé que tu en a marre des gars qui font seulement semblant d’écouter » (I bet you’re tired of guys who only pretend to listen).

Ce genre d’invasion de la vie privée est une idée dérangeante pour la plupart des gens. Ouvrir dix lettres à la vapeur — une pratique courante de la Stasi durant la guerre froide — semble être une plus grave entrave à la vie privée que d’intercepter des milliards de courriers électroniques.

— Une seule mort est une tragédie, un million une statistique. Bien sûr, c’est un défi. Il arrive un moment où l’étendu de la violation de la vie privée devient tellement stupéfiante qu’il devient compliqué de la comprendre, de l’imaginer. C’est difficile à accepter donc nous nous en sommes détournés. « Nous vivons dans une société de liberté, mais nous sommes surveillés tout le temps. »

Comment expliquez-vous la surveillance de masse à quelqu’un qui ne se sent pas surveillé ? Quelqu’un qui n’a « rien à cacher » ?

— Ce n’est pas une question de n’avoir rien à cacher, mais d’avoir quelque chose à perdre. Ce que l’on perd lorsque l’on est surveillé, c’est notre humanité. Ce qui nous façonne, ce qui fait de nous des individus, c’est que nous pouvons penser, que nous pouvons argumenter.

Dire que vous n’avez rien à faire du droit à la vie privée parce que vous n’avez rien à cacher est la même chose que de dire que vous n’avez rien à faire de la liberté de parole car vous n’avez rien à dire, ou de la liberté de la presse car vous n’êtes pas journaliste, ou de la liberté de religion car vous n’êtes pas chrétien. Dans une société, les droits sont collectifs et individuels. Vous ne pouvez trahir les droits d’une minorité, même si une majorité le vote. Les droits sont inhérents à notre nature, ils ne sont pas accordés par les gouvernements, ils sont garantis par les gouvernements. Ils sont protégés par les gouvernements.

On dit qu’on peut juger une société à la façon dont elle traite ses membres les plus faibles. Cela me fait penser à quelques phrases du livre de Glenn Greenwald sur les documents de Snowden :

La véritable mesure de la liberté d’une société se trouve dans la façon dont elle traite ses dissidents et ses marginaux, pas ses citoyens loyaux. Même dans les pires tyrannies du monde, les partisans dociles sont immunisés contre les sévices du pouvoir étatique. Lorsque le New York Times a publié le premier extrait des 7000 pages des Papiers du Pentagone de Daniel Ellsberg, une décision judiciaire, à la demande de l’administration Nixon, a interdit au journal de publier les documents. 13 jours durant, Daniel Ellsberg fut au centre de ce que la presse décrivit comme « la plus grande chasse à l’homme depuis l’enlèvement du fils de Lindbergh » alors qu’il continuait de distribuer les documents à travers le pays à 17 journaux qui le relayaient désormais, et narguaient le FBI. Le 30 juin, une décision de la Cour Suprême leva finalement l’interdit.

Quand il s’est agit des documents Snowden, l’éditeur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, avait à coeur de protéger le contenu. Il mit en place une salle de rédaction spéciale dans les bureaux londoniens, elle était gardée 24h sur 24, 7j sur 7 par des agents de sécurité munis d’une liste des personnes à laisser passer. Au Royaume Uni, la presse est plus indépendante qu’aux États-Unis, et moins proche du gouvernement. Cependant, les journalistes anglais ne jouissent pas des mêmes droits constitutionnels et des mêmes libertés que leurs collègues américains, et lorsque le gouvernement bitannique adopta une posture de plus en plus agressive, Alan Rusbridger prit contact avec le NewYork Times. Ça chauffait au Royaume-Uni. L’idée était que le Guardian se réfugie derrière la Constitution des États-Unis en transférant le contenu à ses collègues américains.

Une semaine plus tard, deux hommes du GCHQ arrivèrent et insistèrent pour que le Guardian leur remette les dossiers, ou les détruise. Ils se présentèrent comme « Ian » et « Chris » mais le Guardian les surnomma « les Hobbits ». Celui qui se faisait appeler Ian dit : « Vous avez des tasses en plastique sur votre table. Elles peuvent être transformées en micros. Les Russes peuvent envoyer un laser à travers cette fenêtre, et faire de vos tasses en plastiques des instruments d’écoute. » Les hommes du GCHQ ouvrirent ensuite un sac et en sortirent ce qui ressemblait à un grand four à micro-ondes. Ils expliquèrent au personnel du Guardian qu’il s’agissait d’un démagnétiseur dont la fonction était de détruire les champs magnétiques et d’effacer disques durs et données. Ian précisa : « Vous en aurez besoin ».
Un employé du Guardian dit : « Merci, mais nous achèterons notre propre démagnétiseur. »
Ian répondit : « Non, ça coûte 30 000 livres. »
L’employé répliqua : « En effet, on va éviter alors. »

Et le personnel du Guardian se relaya pour détruire les ordinateurs, les cartes mémoire, les puces et les disques durs dans la cave, sous la surveillance des Hobbits. Le tout prit trois heures.

De nos jours, beaucoup de journalistes d’investigation, dans les démocraties occidentales, travaillent via notes écrites, promenades, correspondance codée et cryptée, et mettent leurs téléphones portables dans le micro-onde quand ils ont à traiter du contenu sensible. « Comme sous la Guerre Froide » précise un journaliste du New York Times.

Des enquêtes réalisées après les révélations d’Edward Snowden montrent que 58% des journalistes traitant d’affaires liées à la politique de sécurité des États-Unis contemporains ont changé leurs méthodes de travail.

Ce ne sont pas des personnes qui en torturent d’autres. Ces personnes sont assises derrière un bureau et pensent que tout ce qu’elles font est parfaitement légal.
À l’extérieur la nuit tombe sur Moscou. Le déjeuner dérive vers un à la carte (en français dans le texte) alors que je demande à Edward Snowden de faire la liste de son top 5 des programmes de sécurité.

Comme dans le documentaire Citizenfour, je suis fascinée de voir comment, avec toutes ses compétences en informatique, il arrive à se mettre à un niveau plus bas; comme un pilote de formule 1 qui arrive à fixer un siège enfant sur le siège avant et à conduire à 20km/h. Cette combinaison extraordinaire de QI et QE (Quotient émotionnel).

Pendant qu’il écrit sur mon calepin, je ne peux m’empêcher de remarquer la façon dont il tient le stylo. Une tenue qui m’indique que c’est quelqu’un qui a plus l’habitude de taper sur un clavier que d’écrire à la main. On dirait que j’ai demandé à un hockeyeur de défaire les lacets de ses patins et de courir 10m sur la glace.

Il ajuste ses lunettes, puis les enlève un moment.

La myopie.

— Je dois approcher les choses à cette distance pour les voir. Il tient une feuille de papier à 10 cm de son visage.

Je pense au sentiment étrange de rencontrer des personnes sur lesquelles vous avez lu tant de choses. Je sais qu’il a -6,5 à un oeil et -6,25 à l’autre. Des pieds inhabituellement petits, au point que cela a pris une éternité pour lui trouver des chaussures à la base militaire US de Fort Benning, qu’il ne boit ni alcool, ni café, et qu’il n’a jamais été saoul. Si mystérieux et si tranquille dans les soirées que ses amis le comparaient au vampire Edward de Twilight. Mais en même temps c’est une des personnes parlant le plus aisément que j’aie jamais rencontrées. Il s’exprime en Anglais américain très clair, avec une voix qui souvent met l’intonation sur un mot de chaque phrase et rend clair ce qui est dur à comprendre.

Je dis que selon mon expérience, ce qui est difficile c’est d’installer ces programmes, les utiliser ne l’est pas une fois que vous avez commencé.
Il remet ses lunettes en place.

Nous voulons réduire les obstacles pour abaisser les barrières. Le problème est que ces produits sont trop techniques pour passer le « test de la grand-mère ». Les gens disent : n’utilisez pas le test de la grand-mère, parce que ce n’est pas respectueux pour les grands-mères.

On pourrait aussi l’appeler le « test de Greenwald »

— Haha ! Ne dites pas ça, vous allez vous mettre à dos tout Twitter

Mais pourquoi les sociétés de l’internet ne rendent-elles pas le chiffrement des communications plus facile ?

— Il y a plein de raisons à cela. La première est que ça ne rapporte pas d’argent, elles ne sont pas incitées à le faire. D’autre part, maintenant leurs gouvernements se plaignent du chiffrement, donc elles ont du mal à choisir leur camp, mais je pense qu’elles doivent vraiment y réfléchir. Parce que si vous travaillez pour un gouvernement, vous travaillez pour tous les gouvernements. En effet si vous offrez un accès officieuxaux États-Unis, vous ne pourrez pas vendre votre iPhone en Chine à moins de leur donner aussi un accès officieux, et c’est la même chose pour la Russie.

Je lui dis que j’ai été surpris de voir à quel point la NSA se vante de ce qu’elle a fait sans aucune honte, comme lorsqu’ils ont expliqué comment ils ont pénétré le système de Google. Un des documents avait même un smiley disant que du chiffrement avait été « ajouté et supprimé ici ».

— Ce ne sont pas des personnes torturant d’autres personnes. Ce sont des gens assis derrière un bureau, pensant que tout ce qu’ils font est complétement légal et même si ça ne l’est pas ils pensent que ça ne deviendra jamais public car tout est classé secret. Pour eux, il s’agit juste de résoudre une série de puzzles, il s’agit juste d’un problème intéressant. Ils disent « Nous voulons être capables de lire ce que Google fait, mais Google chiffre les données, que pouvons nous y faire ? Comment contourner cela ? » Et quelqu’un a du passer 6 semaines à travailler là-dessus …

Il rit.

— … ou en fait un peu plus de six minutes.

Certaines personnes ont du mal à comprendre le fait qu’un homme de 29 ans puisse renoncer à un salaire élevé, à son emploi, à sa vie et à sa famille, pour défendre les valeurs démocratiques avec lesquelles la plupart d’entre nous disons vouloir vivre.

Dans différents états totalitaires dans le monde, des hommes et femmes de 29 ans se lèvent pour combattre, pour avoir le droit de ne pas être surveillés, le droit de ne pas être harcelés, le droit à la liberté d’expression, même si cela signifie risquer la peine de mort, la flagellation, l’emprisonnement à vie, ou l’exil. De nombreux journalistes peuvent témoigner du fait qu’il peut être plus facile de trouver des sources prêtes à prendre de grands risques dans les pays où ils risquent bien plus que dans les démocraties, dans lequelles les gens risquent de créer des silences à la machine à café ou la perte de leur emploi. Je demande à Snowden quelle en est la raison pour lui.

— En fin de compte, dans de nombreux cas, les gens sont surtout des acteurs rationnels. Ils vivent dans un pays où le pire scénario est de perdre son emploi, et en même temps ils voient que le système est très stable, très robuste. Ce que cela signifie : les politiciens vont parler, la presse va écrire quelque chose sur le sujet, ils vont vaguement remuer du papier dans certaines législations. Mais le résultat final de leur sacrifice sera très faible. Il y aura des changements nominaux dans la loi ou la politique mais pas de réformes structurelles. Alors que si vous êtes dans un état plus faible, si vous êtes dans un régime moins stable, vous avez la chance d’être essentiel à l’action, d’être l’étincelle qui allume le feu, et de changer le pays pour quelque chose de mieux, de manière réelle et durable.

— Mais bon…

Il rit.

…je ne fais que spéculer.

J’en viens à penser à quelque chose que j’ai entendu Edward Snowden dire à propos de lui-même. Le fait qu’il soit une personne ordinaire dans une situation extraordinnaire. Ce qui est probablement vrai. ll maintient son droit à être quelqu’un d’ordinaire, malgré les circonstances exceptionnelles. Quelqu’un qui ouvre lui-même la porte, passe commande pour la nourritue et nous rencontre sans avocat pour des conversations de plusieurs heures, parce qu’il aime voyager par la parole – dans la vraie vie tout comme sur Internet, qu’il aime précisément parce que c’est un panier de crabes dans lequel vous êtes obligés d’argumenter avec férocité, bien plus qu’un groupe de réflexion pragmatique.

La valeur symbolique se concrétise lorsqu’une fuite anonyme devient un lanceur d’alerte pourvu d’un nom, d’un visage et d’un contexte, quelqu’un qui peut porter une histoire avec un poids qui se passe de décorations sur la poitrine. Plus tôt dans la conversation, Snowden avait mentionné une maxime de la CIA : « la mission avant tout ». Peut-être que la mission avait changée. La question sur laquelle je m’étais focalisée ces deux dernières années était mal posée depuis le début. Edward Snowden n’avait pas abandonné sa patrie pour devenir un lanceur d’alerte.

Il était ici parce qu’il n’avait jamais abandonné.

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