La Quadrature du Net a envoyé une lettre et une note d’information aux sénateurs qui se prononceront dès ce mercredi 8 juillet 2009 sur le projet de loi HADOPI 2 (« projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet »)
L’initiative citoyenne invite par ailleurs tous les sénateurs à voter en faveur des amendements déposés par leurs collègues Boumediene-Thiery et Ralite, qui visent à rétablir, dans l’esprit de la décision prise le 10 juin 2009 par le Conseil Constitutionnel, le droit à un procès équitable ainsi que la présomption d’innocence en matière de contrefaçon.
Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur,
Dans les prochains jours, vous aurez à examiner en procédure accélérée le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet. Prenant acte de la censure de la loi « Création et Internet » prononcé le 10 juin dernier par le Conseil constitutionnel, ce nouveau texte vise à permettre la mise en place du mécanisme dit de « riposte graduée » afin de lutter contre le partage d’œuvres culturelles sur internet.
Depuis le début du débat parlementaire sur ce projet, la Quadrature du Net n’a eu de cesse de vous avertir des dangers qu’un tel dispositif fait peser sur les libertés individuelles. La décision du Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs confirmé, en rappelant notamment que, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, [la libre communication des pensées et des opinions] implique la liberté d’accéder à ces services ». Compte tenu de ce rôle essentiel qu’Internet joue désormais dans nos sociétés, les juges constitutionnels ont en effet estimé que les principes fondamentaux que sont le droit au procès équitable et la présomption d’innocence ne pouvaient être mis en cause dans le simple but de faire respecter la propriété intellectuelle.
Pourtant, le projet qui vous est aujourd’hui soumis ne permet pas de répondre à ces objections fondamentales. L’article 2 prévoit désormais le recours à la procédure du juge unique et aux ordonnances pénales en matière de délits de contrefaçon. Or ces procédures simplifiées – utilisées à titre d’exception notamment dans le cadre du contentieux du code de la route – excluent tout débat contradictoire, et ce en dépit de la sévérité des peines encourues en matière de contrefaçon. De même, une telle procédure ne s’accompagne d’aucune enquête judiciaire permettant de vérifier la validité des preuves à charge, qui ne reposent en l’occurrence que sur des relevés d’adresses IP dont la qualité probante est extrêmement critiquée. Par ailleurs, si ce projet de loi était adopté, la HADOPI serait habilitée à dresser le procès-verbal sur lequel le magistrat devra fonder son jugement. Confier de tels pouvoirs à une autorité administrative constitue une entorse inacceptable au principe de séparation des pouvoirs.
Nous constatons également que l’article 3 bis adoptée par votre commission aux affaires culturelles prévoit qu’une sanction de suspension de la connexion internet soit prononcée en tant que peine complémentaire d’une contravention réprimant un abonné internet pour défaut de sécurisation de sa ligne. Là encore, les manquements soulignés par le Conseil constitutionnel sont ignorés. En effet, la charge de la preuve reste inversée : pour s’exonérer de l’accusation de manquement à l’obligation de sécurisation de sa ligne, un internaute devra prouver que l’acte de téléchargement était le fait d’un tiers. Il s’agit là d’une grave remise en cause de la présomption d’innocence.
Aucune réponse satisfaisante n’est donc apportée aux défauts consubstantiels du mécanisme de riposte graduée que soulignait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009. Il s’agit en somme d’une tentative de passage en force de l’exécutif qu’il faut interpréter comme une provocation vis-à-vis des juges constitutionnels, dont les décisions sont pourtant censées s’imposer aux pouvoirs publics en vertu de l’article 62 de la Constitution.
Enfin, nous ne pouvons que regretter que ce projet de loi fasse de nouveau l’impasse sur l’instauration de nouveaux mécanismes de financement de la création, en ignorant l’évidente et nécessaire adaptation du régime de la propriété littéraire et artistique à l’ère numérique. Cela fait désormais presque quatre ans que le débat autour de la riposte graduée est engagé. Autant de temps perdu à débattre d’un projet attentatoire aux libertés de nos concitoyens, à vainement tenter de protéger des modèles économiques profondément inadaptés aux pratiques culturelles novatrices qui se développent sur les réseaux. Deux années qui auraient pu être mises à profit pour réconcilier durablement l’industrie culturelle avec Internet, tout en ayant à cœur de défendre les progrès que représente cette formidable technologie du point de vue des droits culturels et politiques de nos concitoyens.
Nous vous invitons donc à ne pas cautionner ces dispositions attentant aux principes, droits et libertés constitutionnellement garantis. Internet n’est pas un espace de non-droit :on n’y légifère pas plus anticonstitutionnellement qu’ailleurs.
Restant à votre disposition, nous vous prions d’agréer, Madame la Sénatrice, Monsieur le Sénateur, l’expression de notre considération distinguée.
Philippe Aigrain, Benjamin Sonntag, Gérald Sédrati-Dinet et Jérémie Zimmermann, co-fondateurs de la Quadrature du Net.