Parution du livre « Technopolice »

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Technopolice, la surveillance policière à l’ère de l’intelligence artificielle paraît aujourd’hui aux éditions Divergences. Dans ce livre, Félix Tréguer, membre de La Quadrature du Net et chercheur associé au Centre Internet & Société du CNRS, fait le récit personnel d’un engagement au sein du collectif Technopolice. Mêlant les anecdotes de terrain aux analyses issues des sciences humaines et sociales, il retrace les mécanismes qui président à la technologisation croissante du maintien de l’ordre et de la gestion urbaine.

Résumé

Voici le résumé du livre, disponible dans votre librairie de quartier.

« Drones, logiciels prédictifs, vidéosurveillance algorithmique, reconnaissance faciale : le recours aux dernières technologies de contrôle se banalise au sein de la police. Loin de juguler la criminalité, toutes ces innovations contribuent en réalité à amplifier la violence d’État. Elles referment nos imaginaires politiques et placent la ville sous contrôle sécuritaire. C’est ce que montre ce livre à partir d’expériences et de savoirs forgés au cours des luttes récentes contre la surveillance policière. De l’industrie de la sécurité aux arcanes du ministère de l’Intérieur, de la CNIL au véhicule de l’officier en patrouille, il retrace les liens qu’entretient l’hégémonie techno-solutionniste avec la dérive autoritaire en cours. »

Présentations

Retrouvez toutes les dates dans l’agenda public de La Quadrature.

Extraits

« Lorsque vient notre tour de parler, Martin et moi montons sur l’estrade. Face à l’amphi bondé, face aux képis et aux costumes-cravate, face au commandant Schoenher et à la futurologue de la préfecture de police, face au préfet Vedel et aux cadres d’Idemia ou de Thales, il nous faut déjouer le piège qui nous est tendu. Dans le peu de temps qui nous est imparti, nous leur disons que nous savons. Nous savons que ce qu’ils attendent, c’est que nous disions ce que pourraient être des lois et des usages  »socialement acceptables » [s’agissant de la reconnaissance faciale]. La même proposition vient alors de nous être faite par le Forum économique mondial et le Conseil national du numérique. Un peu plus de transparence, un semblant de contrôle par la CNIL, une réduction des biais racistes et autres obstacles apparemment  »techniques » auxquels se heurtent encore ces technologies, et l’on croit possible d’assurer un compromis  »éthique » entre la défense automatisée de l’ordre public et l’État de droit.

Mais nous leur disons tout net : la reconnaissance faciale et les autres technologies de VSA [vidéosurveillance algorithmique] doivent être proscrites. Plutôt que de discuter des modalités d’un  »encadrement approprié », nous exprimons notre refus. Nous leur disons que, pour nous, la sécurité consiste d’abord en des logements dignes, un air sain, la paix économique et sociale, l’accès à l’éducation, la participation politique, l’autonomie patiemment construite, et que ces technologies n’apportent rien de tout cela. Que sous prétexte d’efficacité, elles perpétuent des logiques coloniales et déshumanisent encore davantage les rapports qu’entretiennent les bureaucraties policières à la population. »

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« Le glissement de l’urbanisme cybernétique vers des applications techno-sécuritaires semble irrésistible. Début 1967, aux États-Unis, une autre commission lancée par le président Johnson et dirigée par l’ancien ministre de la Justice de Kennedy, Nicholas Katzenbach – qui rejoindra d’ailleurs IBM en 1969 et y fera une bonne partie de sa carrière – a, elle aussi, rendu un rapport sur la montée des « troubles à l’ordre public » (…). C’est un programme d’ampleur qui est proposé : édiction d’un plan national de R&D qui devra notamment se pencher sur l’approche des politiques pénales en termes de  »système », relevés statistiques couplés au déploiement d’ordinateurs et à la géolocalisation des véhicules de police pour optimiser voire automatiser l’allocation des patrouilles et s’adapter en temps réel à la délinquance, automatisation de l’identification biométrique par empreintes digitales, technologies d’aide à la décision dans le suivi des personnes condamnées, etc. La pensée techno-sécuritaire infuse l’ensemble des recommandations. Et l’on remarquera au passage combien la police du futur des années 1960 ressemble à la nôtre. Comme si le futur, lui non plus, ne passait pas. »

« Lorsque la technologie échoue à rendre la police plus précise ou efficace dans la lutte contre la délinquance, cela ne signifie pas qu’elle ne produit pas d’effets. Constater un tel échec doit plutôt inviter à déplacer le regard : l’une des principales fonctions politiques dévolues aux technologies ne consiste pas tant à produire de la  »sécurité publique » qu’à relégitimer l’action de la police, à redorer le blason de l’institution en faisant croire à un progrès en termes d’efficience, d’allocation des ressources, de bonne gestion, de transparence, de contrôle hiérarchique. Il en va ainsi depuis la fin du XIXe siècle et le début de la modernisation de la police, lorsque le préfet Lépine mettait en scène l’introduction de nouveaux équipements, les bicyclettes ou les chiens de police. C’est aussi une dimension centrale des premiers chantiers informatiques des années 1960 que de rationaliser une administration perçue comme archaïque. Reste que cette promesse d’une police rendue plus acceptable, transparente ou légitime grâce à la technologie est toujours trahie dans les faits. »

« Tandis que l’extrême droite s’affirme de manière toujours plus décomplexée partout dans le champ du pouvoir, ces processus grâce auxquels les élites libérales gèrent la dissonance cognitive induite par leur complicité objective avec la spirale autoritaire en cours forment l’un des rouages les plus efficaces du fascisme qui vient. »