Règlement terroriste : le Parlement européen doit s’opposer à la censure sécuritaire

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Lundi 11 janvier, la commission LIBE (pour Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures) du Parlement européen va voter sur le règlement dit « antiterroriste ».

Ce texte (disponible ici en anglais, version non consolidée) vise à soumettre l’ensemble des acteurs de l’Internet à des obligations aussi strictes qu’absurdes.

La principale obligation sera de permettre aux autorités de n’importe quel État membre de l’Union européenne (que ce soit la police ou un juge) de demander le retrait de n’importe quel contenu qu’elle considère comme « terroriste » à un acteur du Web dans un délai d’une heure.

La loi Avia prévoyait l’exacte même obligation et le Conseil constitutionnel l’a censuré en juin dernier. Cette victoire nous avait laissé espérer que le texte européen soit profondément modifié. Ce n’est pourtant pas le cas. Après sa défaite nationale, le gouvernement français démontre clairement vouloir utiliser l’Union européenne pour faire passer des textes anticonstitutionnels.

Introduit en septembre 2018 par la Commission européenne, le règlement antiterroriste a été adopté en décembre 2018 par le Conseil de l’Union européenne puis adopté en première lecture par le parlement européen en avril 2019. Après des négociations en trilogue (entre les trois institutions européennes), il est maintenant de retour devant le Parlement pour un dernier vote (vous pouvez retrouver le bilan de nos actions sur ce texte en avril 2019 ici).

La Quadrature du Net a envoyé le message suivant aux membres de la Commission LIBE pour leur demander de rejeter ce texte.

Chers membres de la Commission LIBE,

Lundi 11 janvier prochain, vous allez voter sur le règlement « relatif à la prévention de la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne ». Nous vous demandons de rejeter ce texte dangereux qui ne pourra que conduire à une surveillance massive de nos communications en ligne et à une censure privée et automatisée de l’information.

En premier lieu, ce texte imposera à tout acteur du Web de bloquer en une heure n’importe quel contenu signalé comme « terroriste » par un juge ou par la police. Les exceptions prévues dans ce texte sont purement hypothétiques et ne protégeront pas en pratique nos libertés.

Le délai d’une heure est irréaliste et seule une poignée d’acteurs – les géants du Web – pourront respecter des obligations aussi strictes. La menace de lourdes amendes et l’impossibilité pratique de se conformer aux ordres de retrait obligera les acteurs du web à censurer de manière proactive tout contenu potentiellement illégal en amont, en utilisant les outils automatisés de surveillance de masse développés par Google et Facebook.

En France et dans d’autres pays membres de l’Union européenne, ce pouvoir sera donné à la police, sans contrôle préalable d’un juge. Un tel pouvoir pourrait mener à la censure d’opposants politiques et de mouvements sociaux.

En France, cette même disposition, obligeant des acteurs de l’Internet à retirer en une heure un contenu considéré comme « terroriste » par la police, a été considérée contraire à la Constitution en juin 2020. Le Conseil Constitutionnel a jugé qu’une telle obligation constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. L’adoption de ce texte serait faite donc en violation de la Constitution française et conduirait à amoindrir considérablement la confiance dans l’Union européenne.

En second lieu, le texte sur lequel vous devez vous prononcer est bien différent du texte adopté par le Parlement européen en avril 2019. L’article 4 permet ainsi à une autorité de tout État membre d’ordonner le retrait d’un contenu hébergé dans un autre État membre. De telles mesures transfrontalières sont non seulement irréalistes, mais ne peuvent qu’aggraver le danger d’une censure politique de masse.

Demander aux membres du Parlement de voter dans un délai aussi court et sur un texte aussi important ne peut que vous encourager à rejeter ce texte et à exiger, sur des questions aussi complexes, un débat véritablement démocratique.

Les idéologies meurtrières ne peuvent être combattues que par des changements structurels et sociétaux. Ce texte joue sur la peur du terrorisme pour mieux contrôler la liberté d’expression sur Internet et limiter les oppositions politiques.

La Quadrature du Net vous demande de rejeter ce texte.