Paris, le 26 mai 2015 — La Quadrature du Net publie une lettre ouverte envoyée à l’ensemble des sénateurs pour les engager à voter contre le projet de loi relatif au renseignement, qui sera soumis au vote du Sénat à partir du 2 juin prochain.
Madame la Sénatrice,
Monsieur le Sénateur,
Les 2, 3 et 4 juin prochains vous allez débattre et voter les articles du projet de loi sur le Renseignement, avant un vote solennel le 9 juin sur l’ensemble du texte.
Ce projet de loi suscite de très nombreuses critiques et inquiétudes depuis sa présentation en mars par le Premier Ministre. Il lui est notamment reproché d’étendre abusivement le champ d’action des services de renseignement, de mettre en place des traitements de données personnelles s’appliquant potentiellement à tout un chacun aux fins de détecter des menaces et de légaliser à grande échelle des pratiques et des techniques de surveillance excessivement intrusives. Tout cela en n’accordant à la future commission de contrôle (CNCTR) qu’un pouvoir de contrôle a posteriori beaucoup trop faible au regard du pouvoir qui sera concentré entre les mains du Premier Ministre.
Associations de défense des droits, magistrats et avocats, spécialistes de la surveillance et des nouvelles technologies, syndicats et professionnels du numérique, représentants de l’ONU ou du Conseil de l’Europe, et même l’association regroupant des victimes de terrorisme ou leur famille, nombreuses sont les organisations qui se sont publiquement opposées au projet de loi.
Les citoyens inquiets se sont massivement adressés à vos collègues de l’Assemblée nationale pour les exhorter à voter contre ce texte. Malgré les pressions et le discours culpabilisateur du ministre de l’Intérieur et du Premier Ministre, 86 députés ont eu le courage de dire non à une entrée dans l’ère de la suspicion généralisée.
La Quadrature du Net, association de défense des libertés fondamentales dans l’espace numérique, vous invite à lire son analyse du projet de loi et à vous engager contre son adoption. À moins d’un travail d’amendement extrêmement profond, incluant le retrait des dispositions les plus contestables, la seule option valable pour garantir les droits fondamentaux des citoyens et permettre de repartir sur des bases saines est de voter contre ce texte.
Aucun travail d’enquête n’a été présenté publiquement pour tirer les leçons des précédents attentats, où il a pourtant été montré que chacun était précédé de lourdes défaillances dans le suivi de personnes précédemment surveillées, défaillances ne relevant en rien d’un déficit de surveillance de masse. Alors que la demande d’une commission parlementaire d’enquête sur les attentats de janvier dernier a été bloquée, il serait aujourd’hui non seulement dangereux, mais aussi contre productif de mettre en place une surveillance généralisée1Il y a surveillance généralisée dès que tout un chacun est susceptible de voir ses communications ou ses données faire l’objet d’un traitement débouchant sur une suspicion même lorsque ce traitement est prétendument anonyme. puisque la surveillance ciblée aurait pu suffire à éviter ces catastrophes.
La nécessaire lutte contre le risque terroriste ne doit pas entraîner notre démocratie vers les pires excès de la surveillance, comme les États-Unis en font l’expérience depuis quinze ans. Depuis le début des révélations permises par Edward Snowden, les pratiques de la NSA et de ses partenaires suscitent un scandale sans précédent dans le monde entier et débouchent aujourd’hui sur des décisions judiciaires les condamnant dans les pays concernés. Pour tirer les leçon de ce débat historique, il est encore temps de repenser les finalités, méthodes et modalités de contrôle des services de renseignement. Cela passe par un engagement clair contre le dangereux projet de loi qui vous est aujourd’hui présenté.
Nous vous remercions par avance de votre engagement en faveur des libertés des citoyens que vous représentez.
La Quadrature du Net
References
↑1 | Il y a surveillance généralisée dès que tout un chacun est susceptible de voir ses communications ou ses données faire l’objet d’un traitement débouchant sur une suspicion même lorsque ce traitement est prétendument anonyme. |
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