Pendant que le gouvernement fait adopter au pas de course les mesures de surveillance de la loi « Narcotrafic », un autre coup de force est en train de se jouer à l’Assemblée nationale. La vidéosurveillance algorithmique (VSA), cette technologie de surveillance de masse que nous dénonçons depuis des années et qui a été récemment déclarée illégale par le tribunal administratif de Grenoble, va être étendue au détour d’un tour de passe-passe législatif.
Les droits humains mis de coté
Nous vous en parlions il y a quelques semaines : le cadre « expérimental » d’utilisation de la VSA prévu par la loi sur les Jeux Olympiques devait prendre fin au 31 mars 2025. Alors que le rapport d’évaluation constatait l’immaturité et l’absence d’utilité opérationnelle de cette technologie, le ministre des transports Philippe Tabarot déposait un amendement opportuniste au dernier moment sur une loi qui n’avait rien à voir, relative aux transports, pour repousser ce délai jusqu’à la fin de l’année 2027. Ce texte comporte par ailleurs de nombreuses autres mesures de surveillance, comme l’expérimentation de micros dans les bus et les cars, la pérennisation des caméras piétons pour les agents de contrôle ainsi que le renforcement des pouvoirs coercitifs de ces agents (palpations, taser…). Malheureusement, le rythme soutenu de l’activité législative ne nous a pas permis de lutter efficacement au Parlement contre cette extension de la répression dans l’espace public et notre quotidien.
L’Assemblée nationale s’apprête à voter solennellement cette loi relative à la sûreté dans les transports demain, mardi 18 mars. Si la commission mixte paritaire a réduit de quelques mois le prolongement de l’expérimentation de VSA – ramenant son achèvement au mois de mars 2027 – cela ne change rien à la situation.
Car ce qui est révélé par cette séquence dépasse les enjeux de surveillance. Sur le fond, nous ne sommes pas surpris·es de cette volonté d’étendre la surveillance algorithmique de l’espace public, tant cela a été affiché par les promoteurs de la Technopolice année après année, rapport après rapport. En revanche, la manière dont l’opération est menée est aussi brutale qu’inquiétante. Elle révèle l’indifférence et le mépris croissant de la classe politique dominante vis-à-vis de l’État de droit. Les mécanismes juridiques de protection des droits humains sont ainsi perçus comme des « lourdeurs administratives », empêchant « l’efficacité » de l’action qu’il faudrait mener pour la « sécurité ».
Au nom de cette logique, nulle peine de s’expliquer ni de prendre en compte les décisions des tribunaux, les promesses que le gouvernement a lui-même faites à la représentation parlementaire ou encore les exigences posées par le Conseil constitutionnel. La fin — légaliser la VSA, structurer le marché et l’imposer dans les usages policiers — justifie les moyens — violer les promesses d’évaluation, mentir en assurant la représentation nationale que ces technologies ont donné entière satisfaction, prétendre que la VSA n’a rien à avoir avec la reconnaissance faciale alors que le ministère est évidemment dans l’attente de pouvoir légalement suivre des personnes et les identifier au travers de ces technologies.
Le symptôme d’une dérive générale
Ce nouveau déni de démocratie n’est pas un cas isolé. Nous voyons ce phénomène s’étendre de plus en plus, et dans toutes nos luttes. Nous voyons ainsi l’État vouloir écarter le droit à se défendre et le principe du contradictoire dans la loi Narcotrafic, tout en supprimant les limites aux pouvoirs du renseignement, le tout pour toujours surveiller davantage. Nous suivons également ses intentions de modifier la réglementation environnementale afin de construire des data centers sans s’embêter avec la protection des territoires et des ressources, perçue comme une entrave. Nous documentons aussi la destruction organisée de la solidarité et de la protection sociale, à travers un système de surveillance et de flicage automatisé des administré·es de la CAF, de la CNAM ou de France Travail, sans que jamais ces institutions n’aient à expliquer ou à rendre des comptes sur le contrôle social qu’elles mettent en place. Nous assistons, enfin, à l’élargissement toujours plus important des pouvoirs des préfets, qui s’en servent pour limiter abusivement les libertés d’association, empêcher des manifestations ou fermer des établissements. S’ils se font parfois rattraper par les tribunaux, ils parient le plus souvent sur l’impossibilité d’agir des personnes réprimées, faisant de nouveau primer le coercitif sur la légalité.
L’extension de la VSA qui sera votée demain doit donc s’analyser dans ce contexte plus général de recul de l’État de droit. Dès lors que l’on se place dans le jeu légaliste et démocratique, ces méthodes brutales du gouvernement sont révélatrices de la dynamique autoritaire en cours. Et le silence médiatique et politique entourant cet épisode, alors que la VSA a pourtant suscité beaucoup d’oppositions et de critiques depuis le début de l’expérimentation, est particulièrement inquiétant. Le Conseil constitutionnel sera probablement saisi par les groupes parlementaires de gauche et il reste la possibilité qu’il censure cette prolongation. Nous ne sommes pas rassuré·es pour autant.
Ce processus de mise à l’écart des règles de droit ne fait que s’accélérer et nos alertes ne seront certainement pas suffisantes pour arrêter le gouvernement. Le sursaut doit venir des parlementaires encore attaché·es au respect des droits et des libertés en démocratie.
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