La Quadrature du Net attaque en justice le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie

Posted on


Par un référé-liberté déposé ce jour, La Quadrature du Net demande au Conseil d’État la suspension de la décision du Premier ministre Gabriel Attal de bloquer en Nouvelle-Calédonie la plateforme TikTok. Par cette décision de blocage, le gouvernement porte un coup inédit et particulièrement grave à la liberté d’expression en ligne, que ni le contexte local ni la toxicité de la plateforme ne peuvent justifier dans un État de droit.

Les réflexes autoritaires du gouvernement

Alors que la situation en Nouvelle-Calédonie atteint un stade dramatique, après trois ans de crise, et que le dialogue politique semble rompu suite à la décision du gouvernement et du Parlement de modifier les règles d’accession au collège électoral au détriment des indépendantistes kanaks, le gouvernement a décidé de revenir à de vieux réflexes autoritaires et coloniaux. Outre l’envoi de forces armées, il a ainsi choisi de bloquer purement et simplement la plateforme TikTok sur le territoire de Nouvelle-Calédonie. Selon Numerama, le premier ministre justifie cette mesure « en raison des ingérences et de la manipulation dont fait l’objet la plateforme dont la maison mère est chinoise », ajoutant que l’application serait « utilisée en tant que support de diffusion de désinformation sur les réseaux sociaux, alimenté par des pays étrangers, et relayé par les émeutiers ».

Or, pour mettre en œuvre cette censure, quoi de mieux qu’une des lois d’exception dont le gouvernement systématise l’usage ces dernières années ? En déclarant l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement s’est autorisé à expérimenter un article de la loi de 1955, ajouté en 2017 : la possibilité de bloquer les plateformes en ligne « provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie ».

Personne n’est dupe : en réalité, le blocage de TikTok n’est absolument pas justifié par une quelconque présence sur la plateforme de contenus terroristes, mais bien par le fait qu’il s’agit d’une plateforme centrale dans l’expression en ligne des personnes qui en viennent aujourd’hui à se révolter. Cette décision de s’en prendre aux moyens de communication lors de moments de contestation violente – une première dans l’Union européenne et qui paraît digne des régimes russe ou turc, régulièrement condamnés par la CEDH pour atteintes à la liberté d’expression1Très logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les précédents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes à la liberté d’expression contraires à la Convention européenne des droits de l’homme. – a déjà été éprouvée l’année dernière, après la mort de Nahel Merzouk.

À l’été 2023, Emmanuel Macron avait exprimé son souhait de pouvoir bloquer les réseaux sociaux lors de moments de crise. Le président de la République s’était alors lancé dans une véritable course à l’échalote autoritaire contre les plateformes en ligne, blâmant les jeux vidéos, puis les réseaux sociaux qu’il voulait alors pouvoir bloquer et sur lesquels il voulait accentuer la fin généralisée de l’anonymat en ligne (déjà bien amoché en pratique). À ce moment-là, les plateformes avaient répondu présentes pour censurer les contenus relatifs aux évènements et aux violences dans les banlieues. Nous avions alors dénoncé cette collaboration entre plateformes privées et pouvoirs publics, unis pour brimer la liberté d’expression au nom du « retour de l’ordre » (voir notre analyse). Aujourd’hui le gouvernement persiste et signe dans sa volonté de mettre au pas les moyens de communications, cette fois-ci en choisissant la voie explicitement autoritaire : le blocage total.

La Nouvelle-Calédonie, terrain d’expérimentation

La décision de bloquer TikTok en Nouvelle-Calédonie constitue pour le gouvernement une première mise en pratique du programme macroniste de censure en ligne annoncé l’été dernier. L’occasion paraît idéale pour le pouvoir : d’une part du fait du relatif désintérêt des médias français pour l’archipel (il aura fallu attendre plusieurs jours, et notamment un premier mort parmi les habitant·es, pour que la presse en métropole commence à traiter de l’actualité calédonienne) et d’autre part parce que ce territoire dispose de règles juridiques différentes, notamment vis-à-vis du droit de l’Union européenne. De cette manière, le gouvernement croit pouvoir éteindre la révolte sans répondre aux griefs de manifestants, en refusant d’aborder la question du rôle de la réforme constitutionnelle sur les élections calédoniennes dans le malaise de la population kanak.

L’objectif de cette décision de censure consiste avant tout à étouffer l’expression d’une révolte. Elle constitue aussi un ballon d’essai avant une possible généralisation de ce type de mesure. De ce point de vue, le contexte politique semble favorable. Dans un récent rapport faisant suite aux révoltes urbaines de 2023, la commission des Lois du Sénat ne demandait rien d’autre que ce qui est en train d’être appliqué en Nouvelle-Calédonie : le blocage des réseaux sociaux et des sanctions plus dures contre les personnes les ayant utilisés lors des révoltes d’une partie de la jeunesse des quartiers populaires l’an dernier.

Lutter contre la surenchère autoritaire

Par notre recours en référé déposé ce jour, nous tentons donc de stopper une machine autoritaire lancée à pleine vitesse. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas de défendre TikTok, une plateforme dont la toxicité avérée commence à être prise en compte par le législateur. Mais les pouvoirs publics restent obnubilés par la nationalité chinoise des détenteurs des capitaux de la plateforme, alors qu’au fond pas grand-chose ne sépare le modèle de TikTok de celui d’Instagram, de Snapchat ou d’autres réseaux dominants. Au-delà de TikTok et de la tutelle exercée par le régime chinois, c’est l’ensemble de l’économie politique liée à ces réseaux sociaux centralisés, fondés sur la collecte et l’exploitation massive des données des utilisateurices, organisés autour d’algorithmes et d’interfaces toxiques, qu’il convient de démanteler. C’est notamment pour promouvoir des alternatives favorables à la liberté d’expression et protectrices des droits que nous appelons à imposer l’interopérabilité des réseaux sociaux.

Par ce recours, il s’agit de dénoncer haut et fort cette mesure autoritaire inédite dans un régime qui se prétend démocratique, mais aussi d’empêcher que ces désirs de contrôle puissent trouver une quelconque légitimité politique ou juridique à l’avenir. Alors que la loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) a été votée et promet une large remise en question de l’anonymat en ligne et une plus grande censure administrative, alors que la lutte contre le terrorisme sert plus que jamais de prétexte à étouffer l’expression en ligne et les contestations, il faut continuer à agir.

Dans ce contexte, La Quadrature a d’autant plus besoin de vous. Le recours que nous avons déposé aujourd’hui ne serait pas possible sans votre soutien. Rejoignez-nous dans nos combats, pour ne pas rester silencieux.euses face aux attaques autoritaires du gouvernement. Et si vous le pouvez, faites-nous un don sur https://www.laquadrature.net/donner/

References

References
1 Très logiquement, nous nous appuyons donc dans notre recours sur les précédents jurisprudentiels de la CEDH sanctionnant ces deux pays en raison des atteintes à la liberté d’expression contraires à la Convention européenne des droits de l’homme.