Il y a deux semaines, nous relayions le recours d’étudiant·es contre l’usage par l’institut d’études à distance de l’Université Paris 8 du logiciel de surveillance algorithmique des examens « TestWe », recours au soutien duquel La Quadrature est intervenue. Hier, dans une ordonnance particulièrement intéressante, le tribunal administratif de Montreuil a suspendu l’usage de ce logiciel.
La société TestWe, qui édite le logiciel du même nom, se vante de développer un outil qui permet de surveiller automatiquement tout·e candidat·e passant une épreuve à distance. Pour résumer, cette surveillance automatisée consiste à analyser algorithmiquement les candidat·es en train de passer une épreuve écrite en dehors des locaux de l’université : l’identité est vérifiée automatiquement au début et pendant l’épreuve, le regard est analysé en permanence, l’environnement immédiat est constamment scruté par analyse vidéo et sonore (voir notre analyse complète du logiciel). Il s’agit donc là d’un traitement de données personnelles, dont un certain nombre de données sensibles.
La procédure introduite par les étudiant·es et dans laquelle La Quadrature est intervenue consistait à demander, en référé (c’est-à-dire en procédure d’urgence), au tribunal administratif de suspendre l’utilisation du logiciel TestWe par l’institut d’études à distance de l’Université Paris 8.
Pour obtenir cette suspension, il fallait faire naître dans l’esprit du juge administratif un « doute sérieux ». C’est-à-dire démontrer qu’il est assez probable que ce logiciel soit illégal, en tout cas suffisamment pour qu’un examen bref de la situation (vu qu’il s’agit d’une procédure très rapide) permette de déceler une atteinte flagrante aux libertés 1Ce même « doute sérieux » nous permettait, en 2020, d’obtenir la suspension de l’usage de drones par la préfecture de police de Paris.. C’est exactement ce qu’a constaté hier le tribunal administratif de Montreuil : TestWe est un logiciel qui est assez probablement disproportionné et ce doute justifie que son utilisation soit suspendue.
Quels étaient nos arguments juridiques ? Qu’un traitement de données comme TestWe doit respecter un certain nombre de conditions pour être légal. Parmi ces exigences, il y notamment celle que soit prouvées l’existence d’une base légale (c’est-à-dire que le traitement de données doit être autorisé par la loi), d’une finalité (c’est-à-dire l’objectif pour lequel le traitement est mis en œuvre) et d’une proportionnalité (c’est-à-dire que seules les données nécessaires à l’objectif doivent être traitées, ce qui est parfois appelé « principe de minimisation des données »). Dans nos écritures en soutien aux étudiant·es (une requête en intervention, une note en délibéré puis un mémoire en réplique à l’analyse d’impact hallucinante produite par l’Université), nous avons détaillé en quoi le logiciel TestWe ne reposait sur aucune base légale parmi celle prévue par le RGPD et était disproportionné par rapport à la finalité affichée, c’est-à-dire celle de la surveillance d’un examen à distance.
C’est ce deuxième point, la disproportion, qui a retenu l’attention du tribunal administratif. Il a estimé que le « doute sérieux » permettant d’ordonner la suspension de l’usage de TestWe réside dans le fait qu’il est probable que ce logiciel ne respecte pas l’exigence de minimisation des données du RGPD. Et c’est plutôt une bonne nouvelle que le juge soit sensible à cet argument : cela signifie que le périmètre des informations et données sur les étudiant·es que TestWe collecte est bien trop large et démesuré pour l’objectif poursuivi. En somme, ce n’est pas parce que les données existent ou sont disponibles qu’il est légal de les utiliser pour toute finalité.
Une ordonnance aux différentes conséquences positives
Tout d’abord, réjouissons-nous que la surveillance algorithmique soit écartée de l’Université : en émettant des doutes quant à la légalité de ce genre de dispositif, le tribunal administratif de Montreuil a envoyé un avertissement à toutes les autres universités et écoles.
Également, au-delà de cette affaire, cette ordonnance ouvre surtout une brèche quant à la reconnaissance de la disproportion des dispositifs de surveillance algorithmique. En mai 2020, lorsque nous faisions interdire les drones du préfet Lallement, le Conseil d’État nous donnait raison parce qu’il constatait l’absence de base légale, c’est-à-dire l’absence d’autorisation par la loi. En décembre 2020, lorsque nous obtenions une nouvelle victoire, le Conseil d’État relevait à nouveau l’absence de base légale (il ajoutait aussi quelques considérations dénonçant le principe même de ce genre de dispositif, ce qui nous avait conduit à parler de « victoire totale »). Mais le problème des victoires obtenues grâce à un défaut de base légale est qu’elles ne durent jamais très longtemps : la loi se change et c’est ce que s’est empressé de faire le gouvernement avec la loi Sécurité globale (partiellement censurée par le Conseil constitutionnel) puis la loi de Sécurité intérieure (cette fois-ci validée par le Conseil constitutionnel).
Concernant TestWe, le tribunal administratif de Montreuil estime que le doute quant à la légalité du dispositif vient de sa probable absence de proportionnalité. C’est-à-dire qu’il reconnaît que surveiller les corps et les sons en permanence n’est pas justifié pour des examens à distance.
Or, depuis 2020, nous nous battons contre la vidéosurveillance algorithmique, qu’elle soit dans des grandes villes comme Marseille ou dans de petits bourgs comme à Moirans (en Isère). Nous nous battons également contre la surveillance sonore, face à la ville d’Orléans qui souhaite être pionnière dans ce domaine. Si ce genre de dispositif n’est actuellement pas autorisé par la loi, cette base légale manquante pourrait bien arriver, en tout cas pour la vidéosurveillance algorithmique, par la loi sur les JO 2024 qui se prépare à légaliser ces pratiques de surveillance de masse de l’espace public. Et c’est là tout l’apport de l’ordonnance sur TestWe : la proportionnalité de ce genre de surveillance algorithmique permanente est désormais sérieusement questionnée.
La victoire des étudiant·es devant le tribunal administratif de Montreuil nous permettra également de mieux nous opposer au souhait de la CNIL de rendre ces dispositifs de surveillance des examens légaux. Contrairement à ce que le juge a conclu, la CNIL souhaiterait consacrer un principe de proportionnalité de certaines surveillances vidéos et audio, et encourager l’usage d’algorithmes de détection de comportements.
Une lutte qui continue
Cette victoire en référé ne met pas un terme à la lutte. Le juge n’a pas dit que TestWe est illégal, simplement qu’il y a un doute sérieux quant à sa légalité. Nous poursuivons donc le combat aux côtés des étudiant·es de Paris 8 dans la procédure au fond (c’est à dire la procédure normale, longue et sans condition d’urgence) pour transformer l’essai et faire reconnaître définitivement par le tribunal administratif de Montreuil l’illégalité de TestWe. Cette décision au fond n’arrivera toutefois pas avant de longs mois.
Sur son site internet, l’entreprise TestWe se vante d’avoir pour clientes des institutions comme le CNED, l’ESSEC, le concours SESAME ou encore Grenoble École de Management. Nous appelons donc les étudiant·es de ces établissements, ainsi que ceux dont l’université ou l’école utiliserait un logiciel similaire à TestWe, mais également les professeur·es et enseignant·es, à poursuivre la lutte initiée par la mobilisation à Paris 8 : faites du bruit dans vos facs, réutilisez les arguments juridiques, créez le rapport de force. La victoire d’aujourd’hui n’attend que de se propager pour, in fine, bouter la Technopolice et toutes les idées qu’elle charrie hors des facs.
References
↑1 | Ce même « doute sérieux » nous permettait, en 2020, d’obtenir la suspension de l’usage de drones par la préfecture de police de Paris. |
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