La Quadrature du Net a quinze ans. Quinze ans déjà !
Des dizaines d’actions, de plaidoiries, d’articles, d’événements publics et de campagnes médiatiques nourrissent les souvenirs et les discussions des fondateurs, bénévoles, membres et salariés depuis la création de l’association au printemps 2008. Cette histoire devait-elle rester dans la seule mémoire de celles et ceux qui l’ont connue ? Quatre membres de l’association ont tenté de la raconter : en trois parties, vingt-deux chapitres et deux cent soixante pages, ils retracent à leur manière ces quinze années de militantisme grave et joyeux.
Le livre Internet et libertés décrit comment une seule ambition, toujours tenue — « défendre les droits et les libertés fondamentales à l’ère du numérique » — a conduit les militants de La Quadrature à défendre le libre partage contre l’épouvantail du « piratage » (loi Hadopi, 2008) ou à mener une lutte juridique incessante contre les dispositifs de surveillance dans les rues (campagne Technopolice, 2020). À ferrailler en France et en Europe contre des lois sécuritaires poussées par des gouvernements toujours plus autoritaires (loi Renseignement en 2015, loi Surveillance en 2016). Ou encore à s’attaquer aux mastodontes planétaires que sont les GAFAM, jusqu’à obtenir des amendes record de plusieurs centaines de millions de dollars contre Google ou Amazon, pour exploitation illégale de nos données personnelles (campagne anti-GAFAM, 2018).
Comment « cinq gus dans un Garage » et des « exégètes amateurs » ont-ils pu mener tous ces combats, et en gagner un certain nombre par-dessus le marché ?
Pour traverser cette histoire apparemment décousue, le livre trace trois lignes, trois grandes séquences à la fois chronologiques et thématiques.
La période de « la défense d’Internet » (2008-2014), c’est l’époque de la lutte contre la loi Hadopi puis le combat victorieux, à l’échelle européenne, contre le traité transatlantique ACTA, qui voulait lui aussi punir les échanges non marchands. C’est la période heureuse de l’association : de jeunes gens enthousiastes, des geeks qui savent de quoi ils parlent, affrontent des États et des gouvernements qui ne comprennent rien au Web ni aux nouvelles technologies, alors que les jeunes militants mobilisent les masses grâce aux nouveaux réseaux.
Mais la période suivante (2014-2018), celle de « l’obsession antiterroriste », est nettement plus sombre : elle montre comment les gouvernements reprennent la main, pourchassent les lanceurs d’alerte et les héros du Web libre (Aaron Swartz, Julian Assange, Chelsea Manning, Edward Snowden, etc.), accumulent les lois répressives pour « civiliser Internet » et veulent soumettre l’ensemble de nos communications à des règles de surveillance et de censure, sous prétexte de lutter en ligne contre un terrorisme qui tue, de façon terriblement réelle, dans les rues des grandes capitales mondiales.
La troisième période, la plus récente (2018-2022), est celle que vous connaissez bien, puisque nous sommes encore dedans : les techniques numériques de surveillance se sont très largement étendues dans l’ensemble de la société, sous des formes parfois anodines et d’autres fois beaucoup plus inquiétantes, depuis le traçage publicitaire sur le Web jusqu’aux algorithmes administratifs qui sanctionnent arbitrairement les bénéficiaires des minima sociaux. Dans le même temps, le vieux fantasme dystopique de la vidéosurveillance permanente, si souvent dépeint dans les œuvres de science-fiction les plus pessimistes, est devenu une réalité quotidienne et tangible avec l’utilisation de drones et de logiciels d’analyse des flux vidéo en direct. Même l’épidémie mondiale de Covid-19, malgré sa gravité médicale et humaine, a été le prétexte complaisant pour mener des expériences sans précédent de surveillance numérique des personnes jusque dans leur intimité.
Voilà comment, sans jamais dévier de sa ligne de défense des droits, de la loi « Hadopi » à la loi « Sécurité globale », La Quadrature du Net a suivi de près tous les bouleversements et les drames de la société française durant ces quinze dernières années.
Cependant, Internet et Libertés n’est ni un livre d’histoire, ni un pamphlet, ni un manifeste.
Ce n’est pas un livre d’histoire : les quatre auteurs assument le côté partiel et partial de leurs témoignages. Ce livre n’est pas une histoire « officielle » de La Quadrature du Net, écrite et revendiquée par l’association. Mais il donne à lire « une histoire de La Quadrature du Net », vue par des personnes qui l’ont vécue de l’intérieur.
Ce n’est pas un pamphlet : le livre n’est pas une longue déploration des défauts du monde, qu’on pourrait corriger avec quelques « il faut » dans un futur nécessaire mais toujours reporté. C’est le récit le plus honnête possible de combats qui ont eu lieu, au nom d’idées qui éclairent le présent et peuvent guider l’action dans les années qui viennent.
Ce n’est pas un manifeste non plus : ce n’est pas un texte dans lequel l’association, en son nom propre, donnerait sa doctrine intégrale.
C’est un récit politique, une histoire commune qui ne cache pas les détours, les erreurs, les difficultés, qui montre comment les idées viennent et comment les luttes s’organisent au gré des envies, des rencontres, de l’imprévu et de la réflexion collective. C’est un livre qui raconte La Quadrature du Net. Et surtout, c’est une histoire qui n’est pas finie. À nous de l’écrire ensemble !
Le livre paraît aux éditions Vuibert ce mardi 13 septembre.
Il est dédié à Philippe Aigrain (1949-2021), ingénieur, écrivain, et membre fondateur de La Quadrature du Net.
Internet et Libertés – 15 ans de combat de la Quadrature du Net
par Mathieu Labonde, Lou Malhuret, Benoît Piédallu et Axel Simon, 268 pages, 19,90€.
https://www.vuibert.fr/ouvrage/9782311624915-internet-et-libertes