La loi « sécurité globale » a été adoptée hier en commission des lois de l’Assemblée nationale (relire notre première analyse de la loi). Un premier constat s’impose aux personnes qui ont suivi l’examen du texte : une ambiance singulière, lugubre et fuyante. Un silence de plomb rompu seulement par divers éclats de rires du groupe LREM, incongrus et parfaitement indécents compte tenu de la gravité du texte examiné. Certains diront qu’il faut écrire la loi d’une main tremblante. Alors tremblons.
Le RAID dans l’Assemblée
Cette loi illustre la méthode législative propre aux États policiers : la police écrit elle-même les règles qui définissent ses pouvoirs.
D’abord, littéralement, l’auteur principal du texte, Jean‑Michel Fauvergue (LREM), est l’ancien chef du RAID, de 2013 à 2017. Il est l’un des deux rapporteurs du texte. À travers lui et, depuis son pupitre en commission des lois, la police a pu imposer son autorité.
Quand la députée Danièle Obono (LFI) s’inquiète pour nos libertés fondamentales, Fauvergue lui reproche de « déverser [son] fiel sur la société française » – car, comprenez-vous, critiquer la police, c’est critiquer « la France ». Voyant Obono insister, il lui intime même : « Allez prendre vos gouttes ! ». Sans doute voit-il le « débat parlementaire » comme un champ de bataille où il est exclu de négocier avec l’ennemi, tout en se permettant de reprocher à Obono de « voir la société de façon binaire entre les « gentils » et les « méchants »».
Pensées interdites
Cette négociation impossible s’est aussi traduite dans l’attitude de l’autre rapporteure du texte, Alice Thourot. Chaque fois qu’un amendement proposait de limiter ne serait-ce qu’un tant soit peu les nouveaux pouvoirs de la police, elle restait cloîtrée dans une unique et lancinante réponse, se résumant à : « Cette disposition a été demandée par la police, il faut l’adopter telle quelle ».
Elle n’est sortie de ce mutisme intellectuel que pour demander aux députés d’arrêter d’envisager des hypothèses où la police abuserait de ses nouveaux pouvoirs, car de telles pensées seraient insultantes pour la police. Entre ces « crimepensées » et le slogan choisi par Thourot pour cette loi, « protéger ceux qui nous protègent », 1984 est à l’honneur.
Trois député·es
Ne laissons ici aucun doute : le rôle historique du Parlement et du droit est précisément d’envisager des hypothèses où les institutions abuseraient de leur pouvoir afin d’en limiter les risques. Mais il n’y avait plus hier qu’une poignée de députés pour s’en souvenir. Saluons-les pour leur étrange baroud d’honneur. Danièle Obono, déjà citée, l’ancien marcheur Paul Molac et le centriste Philippe Latombe qui, devant les barrières dressées par la police au sein même de l’Assemblée nationale, a fait tomber les masques, rempli d’amertume, avouant que « les députés ne servent à rien ». Et en effet, ils n’auront servi à rien.
Alors que le sujet de cette loi, dont le processus d’adoption est – rappelons le – d’une rapidité exceptionnelle, touche à nos libertés publiques et nécessiterait une discussion solennelle et sérieuse de la part des parlementaires, nous avons à l’inverse pu observer une absence criante de la mesure de la gravité des enjeux, chaque augmentation de pouvoir de la police étant votée comme une simple formalité administrative.
La police autonome
Ce débat, tant sur sa forme que sur son fond, aura démontré que la police est une institution politique autonome, avec son agenda et ses idéologies propres qu’elle entend défendre elle-même. Les discussions sur l’article 21 sur les « caméras-piétons » l’ont parfaitement illustré.
Les députés de droite ont martelé qu’il fallait que cet article 21 permette aux policiers de publier les vidéos prises par leur caméra portative afin de « rétablir la vérité », ou plus exactement d’établir « leur vérité » dans la « guerre des images », et de justifier les violences policières filmées par les journalistes et la population. La police n’est donc plus uniquement chargée de protéger la population contre les infractions. Elle est aussi destinée à faire de la communication politique au même titre qu’un parti politique ou qu’un journal militant – les armes et les hélicoptères en plus.
Un chien-fou en liberté
Le gouvernement et sa majorité parlementaire ont toujours dû laisser à la police certaines libertés en contrepartie de la protection armée offerte contre les débordements populaires. Mais ce rapport de force semble largement déraper. Sur la forme, on pourrait se demander ce qu’il reste de l’indépendance du pouvoir législatif, soumis de fait à la police et à ses lobbyistes élus.
Sur le fond du texte aussi, le rapport de force semble basculer brutalement en faveur de la police. L’article 24 de la loi, qui conduira en pratique à empêcher la population et les journalistes de filmer et de diffuser les images de violences policières, fera disparaître un contre-pouvoir fondamental dans l’équilibre des institutions. Car la documentation des abus policier dans les médias, par la presse et la population, permettait de les contenir un minimum, ce qui arrangeait bien les autres pouvoirs. Si le contre-pouvoir de la presse devait sauter, plus grand-chose n’empêcherait la police de verser dans l’arbitraire le plus total.
Les amendements de la police
Hier, l’agenda a bel et bien été dicté par la police. Les seuls amendements sérieux à avoir été adoptés sont ceux qui accroissent les pouvoirs de la police.
Sur les articles qui nous intéressent, un premier amendement « vise à étendre aux polices municipales les avancées permises par le présent article en matière de caméras individuelles » (notamment la transmission en temps réel au centre de commandement, où les images pourront être analysées automatiquement). Un deuxième ensemble d’amendements allonge la liste des finalités permettant la surveillance par drones (lutte contre les rodéos urbains et les petits dealers notamment).
Enfin, la seule modification apportée à l’article 24 sur la diffusion d’images policières sonne comme une provocation : l’article 24, qui interdit toujours la diffusion du visage et d’autres éléments d’identification des policiers, permet désormais de diffuser des images illustrant leur matricule – ce fameux RIO dont l’absence est justement si souvent déplorée… Réagissant aux vives oppositions, notamment celle de la défenseure des droits, contre l’atteinte à la liberté d’informer constituée par cet article, l’ancien chef du RAID a été définitif : « nous voulons que les agents ne soient plus identifiables du grand public ».
La suite
Le texte sera examiné par l’ensemble des députés à partir du 17 novembre. Vous pouvez appeler ou écrire aux élus d’ici là via l’outil ci-dessous.
Nos espoirs principaux seront peut-être à placer dans le Sénat et le Conseil constitutionnel, qui ont une place singulière dans les rapports de force entre les institutions et sont récemment parvenus à réduire à néant les initiatives du gouvernement, notamment en s’opposant à la loi Avia.