Dès 2015, La Quadrature du Net a eu l’occasion de travailler avec une poignée d’associations militantes, dont le CCIF, contre l’État d’urgence et ses nombreuses dérives. Elle signe aujourd’hui cet appel, rappelant le danger que fait peser sur les libertés – dans l’espace numériques et au-delà – la dissolution arbitraire d’organisations de la société civile.
Associations, collectifs, avocat·es, universitaires et membres de la société civile, signataires de ce texte, bouleversé.e.s et choqué.e.s par l’assassinat de Samuel Paty, expriment leur consternation et leur colère à la suite des déclarations du ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, annonçant la volonté du gouvernement de dissoudre plusieurs associations, dont le Collectif Contre l’Islamophobie en France – CCIF, une structure avec laquelle nous collaborons régulièrement.
La contribution du CCIF au débat public sur la question des discriminations est incontestable. Le racisme et la stigmatisation des personnes musulmanes, ou considérées comme telles, est une réalité en France depuis des décennies. S’attaquer à une association de défense des droits de la minorité musulmane met en péril un combat plus que jamais nécessaire dans une société à la cohésion sociale fragilisée.
Le CCIF participe aux démarches inter-associatives de défense et de promotion des libertés et droit fondamentaux, comme c’est le cas dans le cadre du réseau « Anti-terrorisme, droits et libertés » dont il est membre ainsi que plusieurs signataires de ce texte. Le CCIF s’est également associé à plusieurs initiatives de la société civile mettant en garde contre les dérives de la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. Tout aussi légitime et essentielle est l’action que ce collectif mène au plan judiciaire pour lutter contre la banalisation des discours d’incitation à la haine raciale dans le débat public.
La dissolution administrative des associations par décret en Conseil des ministres, mesure qui existe en droit français depuis 1936, ne peut intervenir que lorsque de strictes conditions sont remplies, des conditions que le CCIF ne remplit pas. Sa dissolution s’apparenterait à une attaque politique contre une association dont l’action est essentiellement centrée autour de la lutte contre le racisme subi au quotidien par les musulman-es. L’action du CCIF dérange parce qu’elle révèle, ici et là, la manière dont notre société discrimine les personnes musulmanes. En cela, l’action du CCIF rejoint celle de toutes les associations de lutte contre les discriminations (origine, handicap, genre, orientation sexuelle, pauvreté…) dont l’action tend fatalement à remettre en cause les structures, règles et dispositifs majoritaires à raison des inégalités qu’ils créent.
La stratégie de stigmatisation choisie par le ministre de l’Intérieur est dangereuse puisqu’elle vise des personnes et des associations en raison de leur appartenance religieuse, réelle ou supposée, alors qu’elles n’ont aucun lien avec le terrorisme ou les discours haineux. Cette posture autoritaire bat en brèche des principes essentiels de l’État de droit, qui protègent contre les accusations collectives, les procédures abusives et non fondées sur des faits précis.
La dissolution arbitraire d’associations n’est une manière ni juste, ni efficace de défendre la liberté d’expression ou la sécurité collective. Seuls les fanatiques religieux et l’extrême droite ont quelque chose à gagner à cette dissolution ; l’État de droit a tout à y perdre.
Nous demandons au gouvernement de renoncer à la dissolution du CCIF, de respecter la liberté d’association et la liberté d’expression, inscrites dans la Constitution de notre République.
Signataires :
Associations : Action Droits des musulmans*, APPUII, Collectif « Les citoyens en alerte », La Quadrature du Net*, REAJI, Tous Migrants, VoxPublic*
Avocat.es : Me Asif Arif, Me Nabil Boudi*, Me Emmanuel Daoud*, Me Adelaïde Jacquin*, Me Jérôme Karsenti*, Me Raphaël Kempf*, Me Myriame Matari, Me Lucie Simon*, Me Stephen Suffern, Me Flor Tercero*
Universitaires : Marie-Laure Basilien-Gainche (Univ. Jean Moulin Lyon 3, membre honoraire de l’Institut Universitaire de France)*, Vanessa Codaccioni (Univ. Paris 8)*, Stéphanie Hennette-Vauchez (Univ. Paris Nanterre)*, Olga Mamoudy (Univ. Valenciennes)*, Sébastien Milleville (Univ. Grenoble-Alpes) Stéphanie Renard (Univ. Bretagne Sud), Julien Talpin (CNRS)
* = membres du Réseau antiterrorisme, droits et libertés.