La commission des lois du Sénat vient de rejeter le délai de 24h que Mme Avia souhaitait imposer aux grandes plateformes pour censurer les contenus illicites sur Internet. Cette première victoire pourrait entraîner l’effondrement d’un texte qui fait l’unanimité contre lui.
La commission des lois a vidé de sa substance l’article 1er de la proposition de loi. Cet article imposait aux grandes plateformes de censurer en 24 heures les contenus signalés par leurs utilisateurs ou la police et correspondant à une longue liste d’infractions (relire notre résumé de cette obligation).
Par ailleurs, la commission des lois a aussi supprimé une obligation parfaitement absurde, ajoutée à la dernière minute cet été à l’Assemblée nationale par le groupe LREM, imposant aux plateformes de censurer toute réapparition d’un contenu déjà censuré. Cela aurait impliqué une surveillance constante de l’ensemble des messages qu’elles diffusent, en violation frontale du droit européen.
Autre point positif : comme cela avait déjà été le cas à l’Assemblée nationale en séance plénière, le rapporteur s’est inspiré de nos propositions sur l’interopérabilité en proposant que le CSA puisse « encourager » la mise en œuvre de standards techniques d’interopérabilité pour permettre aux victimes de « se réfugier sur d’autres plateformes avec des politiques de modération différentes, tout en pouvant continuer à échanger avec les contacts qu’elles avaient noués jusqu’ici ». Cela reste une version très allégée de notre proposition, qui ne suffit pas à sauver le reste du texte.
Enfin, évidemment, les amendements farfelus du sénateur Grand, proposant de sanctionner lourdement la captation et la diffusion d’images de policiers (ici et là), ont été déclarés irrecevables.
Une victoire à confirmer
Les victoires d’aujourd’hui restent à confirmer par l’ensemble du Sénat lors d’un vote en séance plénière prévu pour le 17 décembre. Mais il faut que le Sénat aille encore plus loin qu’aujourd’hui en rejetant le texte dans son ensemble.
En effet, après le vote du 17, la proposition de loi ira en commission mixte paritaire, où l’Assemblée nationale et le Sénat tenteront de trouver un accord sur le texte en partant de leur version respective.
Un tel accord est ici peu probable vu les différences entre les textes adoptés par chacune des chambres. La loi reviendra donc manifestement à l’Assemblée nationale, avec le risque sérieux qu’elle renverse entièrement la victoire d’aujourd’hui.
Le Sénat doit marquer le plus fortement possible son opposition à la proposition de Mme Avia, en la rejetant purement et simplement.
Ce rejet est d’autant plus indispensable que, tout en améliorant le texte, la commission des lois du Sénat y a ajouté de nouveaux risques majeurs. Si les dangers initiaux de la loi revenaient après la commission mixte paritaire, s’y ajouteraient ces nouveaux risques-ci et la situation serait encore plus désastreuse qu’au départ.
Les tous pouvoirs du CSA
Les nouveaux dangers que le Sénat vient d’introduire concernent le champ des plateformes auxquelles la loi s’appliquera (voir l’amendement).
Initialement, la loi ne concernait que les plateformes dont le nombre d’utilisateurs dépassait un seuil fixé par décret, qu’on nous annonçait à 2 millions. Désormais, la loi s’imposera aussi à n’importe quelle plateforme choisie par le CSA selon des critères si vagues qu’il risque de pouvoir les désigner arbitrairement. Il suffira que le CSA considère qu’une plateforme ait « en France un rôle significatif […] en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé ».
Toutes ces plateformes devront respecter les « règles » que le CSA définira pour lutter contre les infractions en ligne. Le CSA pourra sanctionner la violation de ses propres règles par une amende pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaire des plateformes.
Le contenu de ces futures « règles » est encore inconnu, mais il faut redouter que le CSA songe à y inclure des techniques de censure automatisée ou de restriction de l’anonymat. C’est du moins la direction générale vers laquelle pousse le gouvernement, que ce soit au prétexte de la lutte contre le terrorisme (pour justifier l’automatisation de la censure) ou de la protection des enfants (pour commencer à s’attaquer à l’anonymat en ligne). Ces nouvelles « règles » seraient actées sans aucun débat démocratique, le CSA étant ici le seul à décider.
Ce pouvoir démesuré n’est pas nouveau dans cette proposition de loi. Nous le dénonçons depuis l’été dernier. La nouveauté du jour est que, en plus de décider des règles qu’il imposera, le CSA décidera aussi des plateformes auxquelles les imposer. Les risques d’abus, notamment contre les plateformes indépendantes et contre le Web libre et décentralisé, sont décuplés.
À ces risques, il faut ajouter celui évoqué plus tôt : si, après la commission mixte paritaire, l’Assemblée nationale parvenait à réintroduire l’obligation de censure en 24h, cette obligation pourrait aussi s’imposer à n’importe quelle plateforme désignée par le CSA, et non plus aux seuls « géants » initialement visés. De quoi détruire n’importe quelle plateforme indépendante d’un battement de cil du CSA.
Toutes ces raisons exigent que le Sénat rejette l’ensemble de cette proposition de loi. Comme nous l’avons déjà dit aux côtés de nombreuses institutions et associations, si la lutte contre la haine est un enjeu majeur, il devra être traité dans un autre texte, par une approche radicalement différente de celle proposée par Mme Avia.