Paris, 21 juillet 2016 – Encore une fois. L’état d’urgence est prolongé, jusqu’en janvier. En réponse à la violence qui saisit de nouveau le pays et à quelques mois des élections de 2017, les responsables politiques en profitent pour s’adonner à une indigne surenchère sécuritaire. Non contents de prolonger l’état d’urgence, ils ont également amendé la loi sur le renseignement adoptée l’an dernier pour aller toujours plus loin vers la surveillance de masse.
Depuis le projet de loi du gouvernement déposé à l’Assemblée mardi matin, difficile de croire que seulement 48h se sont écoulées. Avec une incroyable célérité, au cœur de l’été, la Commission des Lois du Sénat a laissé libre cours aux propositions du rapporteur Michel Mercier (UDI), ex-ministre de la Justice, pour gommer les soi-disantes « rigidités » de la loi renseignement adoptée l’an dernier.
La disposition en question (article L. 851-2 CSI), très décriée lors des débats à l’époque, vise à scanner en temps réel des données de connexion d’un individu suspecté d’activités terroristes.
Dès les attentats de novembre, alors que l’encre de la loi renseignement était à peine sèche, un responsable du ministère de l’Intérieur expliquait déjà au Monde qu’avec des procédures de contrôle encore plus allégées, « en croisant les infos et en utilisant un algorithme très puissant déjà connu, nous serions en mesure de surveiller, en temps réel, ces 11 700 personnes » « fichées S ». Puis, en janvier à l’issu d’un Conseil national du renseignement à l’Élysée, et toujours d’après Le Monde, la décision fut prise de « mettre sous surveillance l’ensemble des données de communication de ces 11 700 personnes « fichées S » pour lien avec l’islamisme radical »..
Jusqu’ici, cette forme de surveillance ne portait que sur les personnes « identifiée[s] comme une menace » terroriste. En vertu de cet amendement scélérat, le code de la sécurité intérieure dispose désormais qu’il suffit d’être identifié comme « susceptible d’être en lien avec une menace », ou de faire partie de l’« entourage » des personnes « susceptibles de… », pour voir ses données de connexion analysées en temps réel et durant quatre mois par les services de renseignement.
Derrière le flou des termes employés, on comprend que c’est donc potentiellement plusieurs dizaines, voire centaines, de milliers de personnes qui sont directement concernées, et non les 11 700 personnes déjà « fichées S ». Cette extension considérable du champ couvert par cette disposition est d’autant plus choquante que fin mai, lors d’une audition devant la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de 2015, le président de la CNCTR, Francis Delon, précisait que cette technique de surveillance en temps réel « commen[çait] à être mise en œuvre, mais, pour l’heure, sur un nombre assez réduit de personnes ». Il rappelait également que le nombre de mesures d’interception des communications (surveillance en temps réel des métadonnées et du contenu des communications) restait très en deçà du plafond autorisé de 2700 surveillances individuelles simultanées, quota que Francis Delon jugeait alors « suffisant ».
Et pourtant. Deux mois plus tard, en moins de 48 heures et sans véritable débat, la disposition qui se voulait au départ relativement ciblée bascule dans la surveillance de masse. À court terme, elle satisfait les stratégies d’affichage politique d’une poignée d’irresponsables. À plus long terme, elle pourrait devenir le symbole de la gabegie sécuritaire et du démantèlement méthodique de l’État de droit qu’entérinent depuis deux ans la quasi-totalité des parlementaires.
Outre la prolongation de l’état d’urgence, la loi votée réforme également le régime des perquisitions informatiques. Suspendues suite à une décision du Conseil constitutionnel en février dernier, elles pourront donc reprendre (sans toutefois que l’on sache ce qu’il adviendra de la montagne de données illégalement saisies lors des trois premiers mois d’état d’urgence).
Mardi soir, au moment où une présentatrice d’une chaîne d’info en continu n’hésitait pas à demander à un représentant de l’extrême-droite (qui n’était certes pas avare de propositions délirantes) s’il fallait légaliser le port d’arme « pour tous les citoyens », la députée Isabelle Attard prononçait ces mots dans l’hémicycle :
Nous assistons, depuis la nuit de jeudi à vendredi, à une surenchère sécuritaire jamais vue. C’est à celui qui proposera le plus de mois d’état d’urgence, jusqu’à l’état d’urgence permanent. Le plus d’armes, le plus de guerre, le plus de surveillance de masse, le plus de prison, le plus d’enfermement préventif, le plus de camps d’internement.
Le compte rendu des débats indique qu’à cette phrase, « plusieurs députés du groupe Les Républicains » lui rétorquèrent : « Et alors ? »
Alors ? Alors nous répétons ce que Philippe Aigrain écrivait déjà ici-même mardi : ceux qui souhaitent résister à l’engrenage de la violence vont « continuer à labourer le sol des possibles, pendant que c’est l’idée même du politique que certains enterrent ».