Paris, le 13 juillet 2016 — Dans une interview donnée à Mediapart hier, Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, met en cause La Quadrature du Net à propos d’un communiqué publié par l’Observatoire des Libertés et du Numérique1Collectif de réflexion et d’action composé du Syndicat de la Magistrature, d’Amnesty International France, du CREIS-Terminal, du Syndicat des Avocats de France, du CECIL, de la Ligue des Droits de l’Homme et de La Quadrature du Net. faisant le bilan de la Loi pour une République numérique. Devant les contre-vérités et les attaques injustifiées de la secrétaire d’État, il est nécessaire de rétablir une certaine part de vérité et de mettre madame Lemaire face à ses responsabilités.
Le communiqué de l’OLN, publié le 24 juin dernier, était intitulé « République numérique : déception 2.0 ». Ce titre résumait le sentiment, partagé au sein de l’OLN, à propos de la loi sur la « République numérique » : une occasion manquée et un bilan globalement mitigé, voire médiocre, quant au résultat de la procédure parlementaire. Nous étions rentrés dans le jeu de la consultation sans illusion (nous l’avions dit dès le départ) et nous en sommes ressortis avec la confirmation malheureuse de cette intuition.
Axelle Lemaire croit-elle sincèrement qu’elle peut « acheter » le silence d’une organisation de la société civile simplement parce qu’elle lui aurait octroyé le droit de poster quelques propositions sur une plateforme dans le cadre d’une consultation ? Le prix à payer pour cette démocratie « participative » de façade est-il de perdre ensuite tout droit à la critique ?
Axelle Lemaire regrette que nous n’ayons pas reconnu certaines avancées contenues dans la loi. Nous avons – dès le départ – concentré notre travail sur certains aspects-clés, tournant autour des thématiques des droits fondamentaux, de la vie privée, des Communs et de la neutralité du Net. C’est donc très naturellement sur ces points que nous avons jugé du résultat. Nous regrettions, dans le communiqué du 24 juin, la non-reprise de nos propositions, pourtant massivement soutenues dans la consultation publique et que l’OLN avaient appuyées. D’autres que nous ont relevé cette absence criante de considération pour le point de vue exprimé par la société civile.
Nous avions reconnu dans le communiqué de presse de l’OLN qu’Axelle Lemaire avait, avec une certaine adresse politique, empêché certaines propositions dangereuses d’entrer dans la loi Numérique. Mais il faut rappeler, comme nous l’avons fait, qu’elle s’est aussi explicitement prononcée lors des débats parlementaires contre des propositions portées par nos associations, qui ont pourtant toutes été transformées en amendements défendus par des parlementaires de tous bords. Députés et sénateurs ont pu débattre, et parfois avec une très bonne qualité de discussion, de Communs, de logiciels libres ou de chiffrement, sans aucun résultat concret. Il est déplorable que ces efforts aient été rejetés – amendement après amendement – par le gouvernement, illustrant – encore une fois – son non-respect du travail parlementaire. Même lorsque le texte final contient des avancées, comme c’est le cas avec l’exception en faveur du Text et Data Mining, il aura fallu qu’elles soient arrachées par les députés contre l’avis d’un gouvernement aligné encore une fois sur des positions maximalistes soufflées par les ayants droit.
Axelle Lemaire reproche à la Quadrature du Net de vouloir instaurer une « Geekocratie » qui ne tiendrait pas compte du Parlement élu dans l’élaboration de la loi. Mais c’est exactement l’inverse qui s’est produit avec la Loi Numérique : les parlementaires ont joué le jeu en reprenant des propositions citoyennes issues de la consultation, tandis que le gouvernement a systématiquement fait obstruction à celles qui étaient les plus symboliques, en cédant à l’habituel jeu des pressions.
C’est ce qui s’est produit en particulier sur la question du logiciel libre : les discussions très riches au Parlement auraient pu conduire le gouvernement à accorder au plan juridique une vraie priorité au logiciel libre. Mais il ne l’a pas fait, contrairement par exemple à la Bulgarie, qui vient d’adopter une telle mesure avec détermination.
En pleine discussion de la loi numérique, des accords ont été passés entre le ministère de l’Éducation nationale et Microsoft. Il est donc hypocrite, en tant que membre du gouvernement, de se prétendre favorable au logiciel libre, quand le bilan de cinq ans de gouvernement socialiste montre tout le contraire.
Mais, sortant dans l’interview à Mediapart du seul sujet de la loi Numérique, Axelle Lemaire continue à essayer de mettre en valeur son rôle, et sombre dans l’injustifiable.
Comment prétendre en effet avoir lutté contre le Privacy Shield, accord bancal signé ces derniers jours entre l’Union européenne et les États-Unis sur la (non-)protection des données personnelles, alors que la France n’a pas eu le courage de s’y opposer ?
Faut-il rappeler les promesses reniées de François Hollande sur Hadopi ? Ou encore les atermoiements d’Axelle Lemaire lors des négociations sur la neutralité du Net au niveau européen ? Et son refus de soutenir l’octroi de l’asile à Edward Snowden ? Est-ce cela le « réalisme politique » dont se félicite la secrétaire d’État ?
Faut-il enfin évoquer la censure privée ou administrative, la surveillance de masse et l’état d’urgence dont Manuel Valls et Bernard Cazeneuve furent les chevilles ouvrières ? Comment Axelle Lemaire peut-elle prétendre défendre les libertés publiques alors que, députée déjà, elle acceptait d’encourager la censure privée sur les réseaux sociaux, et que depuis deux ans elle cautionne par sa participation au gouvernement ces politiques de recul généralisé de l’État de droit ?
Nous savons que son secrétariat d’État n’a en réalité pas un grand pouvoir au sein du gouvernement, mais les bons mots et les incohérences ne peuvent tenir lieu de politique : on ne peut pas prétendre « être un lanceur d’alerte au sein du gouvernement » et s’obstiner à y participer alors que l’alerte reste sans effet. Rester dans un gouvernement, c’est en être solidaire, et être solidaire de son bilan.
Puisque l’heure des bilans est venue, alors Axelle Lemaire nous permettra de dresser le nôtre. S’agissant des libertés publiques dans l’espace numérique, domaine d’action de La Quadrature du Net, ce bilan est catastrophique, et la loi Numérique — en dépit de son maquillage « participatif » — ne suffira pas à rééquilibrer le compte.
References
↑1 | Collectif de réflexion et d’action composé du Syndicat de la Magistrature, d’Amnesty International France, du CREIS-Terminal, du Syndicat des Avocats de France, du CECIL, de la Ligue des Droits de l’Homme et de La Quadrature du Net. |
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