À l’heure des révélations d’Edward Snowden sur les pratiques de surveillance de la NSA et de ses partenaires internationaux comme la DGSE française, le statut des lanceurs d’alerte est plus que jamais au centre d’une réflexion politique et juridique, notamment en ce qui concerne les questions de surveillance. Beaucoup reste à faire cependant pour assurer pleinement le droit à l’information du public, sans lequel il ne peut y avoir de vraie démocratie.
Le statut de lanceurs d’alerte doit pouvoir bénéficier à toute personne qui signalerait, dévoilerait, ou dénoncerait des faits, passés, actuels ou à venir, de nature à violer des droits ou entrant en conflit avec le bien commun ou l’intérêt général. Dans le champ de la surveillance, ce statut doit permettre de déroger au silence que l’État impose légalement à ses agents et prestaires, pour protéger des personnes qui, comme Edward Snowden et nombre d’autres sources anonymes, permettent la tenue d’un véritable débat public sur les dérives de la raison d’État et des politiques de sécurité.
Les députés ont inclus dans la loi Renseignement, adoptée en juillet 2015, plusieurs dispositions qui concernent directement les lanceurs d’alerte issus des services de renseignement (articles L. 862-1 et L. 881-1 du Code de la sécurité intérieure, tel que modifié par l’article 13 de la loi). Mais en réalité, ces dispositions aboutissent à un véritable recul. Elles n’autorisent le signalement qu’auprès de l’autorité administrative en charge du contrôle des opérations de surveillance, la CNCTR, dans des conditions qui conduisent à une extraordinaire insécurité juridique qui ne vise qu’à dissuader les lanceurs d’alerte de témoigner. Pire, la CNCTR n’est pas tenue de saisir les juridictions lorsqu’elle reçoit des signalements relatifs à des infractions pénales, tandis que la loi aggrave la répression des divulgations publiques concernant les activités de surveillance.
Au regard de la jurisprudence de la CEDH (CEDH, 12 février 2008, Guja c. Moldavie) et des principes mondiaux sur la sécurité nationale et le droit à l’information (principes de Tschwane), La Quadrature du Net recommande :
- d’abroger les dispositions L. 862-1 et suivants du CSI et d’adopter des mesures protectrices de la procédure d’alerte, indiquant que l’agent peut dénoncer tout crime, délit ou violation des droits, que les informations révélées soient couvertes ou non par le secret de la défense nationale.
- d’assurer la possibilité de dénoncer ou de révéler ces faits et ces informations par le biais d’une procédure interne ou d’une divulgation publique. Le droit de révéler à la presse ou de divulguer publiquement l’existence d’abus et a fortiori de crimes et délits commis dans le cadre des activités de surveillance doit être reconnu lorsqu’une telle divulgation est d’intérêt public et que l’alerte interne à l’administration est objectivement risquée ou inefficace.
- dans le cas de la procédure interne, la CNCTR (en tant qu’autorité administrative indépendante en charge du contrôle des services de renseignement) peut recueillir les signalements mais devra systématiquement en aviser le Conseil d’État, lequel devra saisir le procureur de la République.
- d’étendre le bénéfice de la protection légale aux tiers (co-contractants, fournisseurs, clients, associations, journalistes). Les journalistes et les citoyens ne devraient pas être visés par une loi de protection de la sécurité nationale les empêchant de divulguer ou d’avoir accès à l’information si celle-ci représente un intérêt public. Dans cette idée, il est nécessaire d’élargir la protection des sources à tous ceux qui exercent une activité journalistique, qu’il s’agisse de grands groupes de presse et de médias officiels, mais aussi plus généralement de la diffusion de l’information, sous la forme, par exemple d’un site web lanceur d’alerte comme WikiLeaks. Les recommandations de Reporters Sans Frontières sur le secret des sources, datant de 2013, avaient déjà mis en relief l’importance de l’extension de cette protection : « les personnes devant bénéficier de la protection des sources ne sont pas seulement les journalistes et les collaborateurs de la rédaction mais toutes les personnes contribuant directement à la collecte, au traitement éditorial, à la rédaction, à la production ou à la diffusion de l’information et ce quel que soit le vecteur » .
- d’améliorer le régime d’indemnisation et créer un fond de soutien aux lanceurs d’alerte, comme cela avait été proposé par le rapport du Service central de prévention de la corruption, placé auprès de la garde des Sceaux.