Paris, 22 juillet 2014 — Au terme d’un examen de 3h30 marqué par l’instrumentalisation continue de faits divers et une longue suite de propos caricaturaux, la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par Jean-Jacques Urvoas1Jean-Jacques Urvoas (SRC), a également joué un rôle de premier plan pour l’adoption de la Loi de Programmation Militaire à la fin de l’année 2013, permettant la surveillance massive de l’ensemble des communications des citoyens., vient d’adopter une version modifiée du projet de loi sur le terrorisme présenté par Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur
Malgré les vives inquiétudes exprimées par de nombreuses organisations de la société civile2Voir notamment les critiques de Christine Lazerges, présidente de la Commission consultative des droits de l’Homme, d’Alain Jakubowicz, président de la LICRA, le dossier du Syndicat de la Magistrature, le communiqué de presse de Reporters Sans Frontières, l’avis du CNNum et la tribune de certains de ses membres., les députés de la commission des lois n’ont pas supprimé3Des propositions d’amendements positifs ont été déposées par les députés Lionel Tardy (UMP) et Laure de La Raudière (UMP), mais n’ont pas été défendues en séance. du texte ses dispositions les plus dangereuses. Au contraire, ils ont multiplié les déclarations décrivant Internet comme la principale voie d’entrée vers le terrorisme,4Un postulat contredit par une étude britannique récente : http://www.quilliamfoundation.org/press-releases/quilliam-releases-new-report-on-online-extremism/ invoqué un « devoir d’efficacité » pour justifier une extension des pouvoirs de la police (autorité administrative) au détriment du pouvoir judiciaire, et réactivé un ensemble de discours caricaturaux, anxiogènes et révélant une profonde ignorance des réalités techniques et sociales d’Internet. Plusieurs amendements adoptés par la commission des lois durcissent des articles déjà jugés problématiques.
En ce qui concerne l’article 9, qui instaure le blocage administratif de sites Internet, et qui a concentré une part importante des critiques publiques adressées à ce projet de loi, le rapporteur Sébastien Pietrasanta (SRC) a explicitement reconnu les problèmes soulevés par cette mesure. Il a fait adopter un amendement qui introduit une phase préalable (de 24h) de demande de retrait du contenu, tout en confiant à une personnalité désignée par la CNIL – une autorité administrative – le soin de déterminer la licéité des contenus et de contrôler les mesures de blocage de sites Internet décidées par la police (une mesure déjà envisagée l’an dernier par le gouvernement). Cet amendement est un leurre : l’ensemble du dispositif de censure échappe toujours à tout contrôle du pouvoir judiciaire, alors même que ce dernier pourrait agir tout aussi efficacement et dans le respect de l’État de droit (comme l’a rappelé la commission ad hoc sur les droits et libertés à l’âge du numérique5La commission consacrée aux libertés à l’âge du numérique estime dans son avis que, « compte tenu de ces éléments et sauf autre indication de nature à modifier significativement le nombre de signalements effectifs, le risque d’engorgement des tribunaux mis en avant par le Gouvernement à l’appui du blocage administratif ne lui apparaît pas établi. La Commission estime possible, et même indispensable, que puisse s’organiser un traitement prioritaire par le parquet des plaintes portant sur des contenus de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme. » Elle ajoute : « De manière générale, la Commission souhaite rappeler que le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l’ensemble des intérêts en présence, lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques ».).
D’ici la discussion du texte en séance publique de l’Assemblée nationale, prévue pour le 18 septembre, les citoyens doivent se mobiliser d’urgence et expliquer à leurs députés pourquoi il faut refuser la généralisation des mesures d’exception et du contournement du pouvoir judiciaire au nom de la lutte contre le terrorisme.
« Alors que la commission des lois avait l’opportunité de corriger les dispositions inadmissibles de ce projet de loi, présentées au nom de la lutte contre le terrorisme, les députés viennent au contraire de les aggraver. L’adoption de ce projet de loi par une majorité qui avait autrefois combattu ces dispositions inspirées du programme de Nicolas Sarkozy illustre l’acceptation générale par la classe politique d’un abandon du pouvoir judiciaire au profit de la police et de la généralisation des mesures d’exception. Citoyens et organisations de la société civile doivent se mobiliser pour lutter contre la banalisation des atteintes aux libertés fondamentales ! » déclare Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.
References
↑1 | Jean-Jacques Urvoas (SRC), a également joué un rôle de premier plan pour l’adoption de la Loi de Programmation Militaire à la fin de l’année 2013, permettant la surveillance massive de l’ensemble des communications des citoyens. |
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↑2 | Voir notamment les critiques de Christine Lazerges, présidente de la Commission consultative des droits de l’Homme, d’Alain Jakubowicz, président de la LICRA, le dossier du Syndicat de la Magistrature, le communiqué de presse de Reporters Sans Frontières, l’avis du CNNum et la tribune de certains de ses membres. |
↑3 | Des propositions d’amendements positifs ont été déposées par les députés Lionel Tardy (UMP) et Laure de La Raudière (UMP), mais n’ont pas été défendues en séance. |
↑4 | Un postulat contredit par une étude britannique récente : http://www.quilliamfoundation.org/press-releases/quilliam-releases-new-report-on-online-extremism/ |
↑5 | La commission consacrée aux libertés à l’âge du numérique estime dans son avis que, « compte tenu de ces éléments et sauf autre indication de nature à modifier significativement le nombre de signalements effectifs, le risque d’engorgement des tribunaux mis en avant par le Gouvernement à l’appui du blocage administratif ne lui apparaît pas établi. La Commission estime possible, et même indispensable, que puisse s’organiser un traitement prioritaire par le parquet des plaintes portant sur des contenus de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme. » Elle ajoute : « De manière générale, la Commission souhaite rappeler que le préalable d’une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l’ensemble des intérêts en présence, lorsqu’est envisagé le blocage de l’accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques ». |