Mise à jour — Le 23 juillet 2014, le Parlement a finalement adopté la version du texte de la commission mixte paritaire conservant la version de l’article 17 votée à l’Assemblée nationale.
—
Paris, 27 juin 2014 – Discuté au Parlement depuis le mois de septembre 2013, le projet de loi dit « pour l’égalité entre les femmes et les hommes » a été adopté durant la nuit en seconde lecture par l’Assemblée nationale. Légèrement modifié, l’article contenant les dispositions encourageant l’extra-judiciarisation de la lutte contre les propos haineux sera à présent examiné en commission mixte paritaire, qui – sauf surprise – l’adoptera tel quel. Ce vote illustre une nouvelle fois la profonde crise politique contemporaine et la dangereuse incompréhension de nos dirigeants face aux enjeux liés au numérique.
À l’issue de près d’un an de travail parlementaire, le projet de loi « pour l’égalité entre les femmes et les hommes » déposé par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des femmes, vient d’être adopté en seconde lecture à l’Assemblée nationale. De manière prévisible, le vote d’aujourd’hui entérine l’article 17 du texte modifiant le régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet pour élargir leurs missions de surveillance et de censure des communications à tous les propos incitant aux discriminations diffusés en ligne, les incitant à censurer ces derniers sans l’aval d’un juge. Comme l’a dénoncé La Quadrature du Net tout au long du processus législatif, une telle extension de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des citoyens, et notamment à la liberté d’expression et au droit au procès équitable (voir cette analyse).
Si la commission mixte paritaire devra encore examiner l’article en question, il parait peut probable qu’il soit remis en question à ce stade, tant les élus – à commencer par les rapporteurs du texte1Mme Virginie KLÈS au Sénat et M. Sébastien DENAJA à l’Assemblée Nationale. – se sont accordés sur son contenu du début à la fin du processus, à quelques exceptions près2Notamment Mme Benbassa (sénatrice ECOLO), Mme Bouchoux (sénatrice ECOLO), M. Coronado (député ECOLO), Mme Duby-Muller (députée UMP), Mme Massonneau (députée ECOLO) M. Molac (député ECOLO) Mme Pompili (députée ECOLO) M. Tardy (député UMP), et Mme de La Raudière (députée UMP)..
Malheureusement, ce débat conduisant à accentuer les dérives de la LCEN aura été marqué par de nombreuses incohérences :
- avec les arguments employés par les députés pour refuser l’extension de la LCEN aux vidéos enregistrées lors d’atteintes volontaires à l’intégrité d’une personne (happy slapping), qui auraient dû les conduire à supprimer l’ensemble de l’article 173Le rapporteur du texte pour la seconde lecture de l’Assemblée nationale a par exemple déclaré : « Le souci de lutter contre la diffusion de contenus illicites sur Internet ne peut justifier de modifier l’équilibre entre liberté d’expression et impératifs de sécurité au point de rendre impossible l’exercice par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs de la responsabilité que leur confie la loi. » ;
- en agitant – comme de coutume – le fantasme de la « zone de non-droit » que constituerait Internet, au mépris des faits et des nombreux procès jugeant des propos tenus en ligne, alors même que l’extension de la loi remet en question les droits fondamentaux des internautes en transformant les hébergeurs en police privée ;
- en attaquant systématiquement les géants du Net, accusés de profiter de leur irresponsabilité de manière hypocrite, alors même que la loi envisage de leur confier des missions de censure, sans intervention du pouvoir judiciaire ;
Le vote d’aujourd’hui symbolise une fois de plus la dérive d’un pouvoir qui n’hésite plus à porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens qu’il est censé représenter et protéger, soutenu par un Parlement où la logique de groupe a depuis longtemps pris le pas sur la défense de l’intérêt collectif. Alors que l’adoption de l’extension de la LCEN par la Commission Mixte Paritaire ne semble n’être plus qu’une formalité, La Quadrature du Net appelle à l’ouverture de l’indispensable débat pour mieux protéger la liberté d’expression sur Internet et garantir le droit au procès équitable.
« Le vote d’aujourd’hui est à la fois extrêmement regrettable, et en même temps guère surprenant vu l’obstination des élus en charge de ce texte. Les débats ont témoigné d’un inquiétant aveuglement face aux risques inhérents à la censure privée, et d’une coupable surdité face aux propositions alternatives visant à renforcer les moyens de la justice. La lutte contre les discriminations est une cause trop importante pour servir de paravent à des politiques attentatoires aux droits fondamentaux. Car en parallèle, cette tendance à l’extrajudiciarisation de la répression sur le Net se retrouve dans le rapport « cybercriminalité », la proposition de loi contre le système prostitutionnel ou encore le projet de loi contre le terrorisme. Le gouvernement et les parlementaires doivent mettre fin à cette fuite en avant et poser les jalons d’une protection pleine et entière de la liberté d’expression sur Internet, notamment à l’occasion du débat à venir sur la loi numérique » conclut Félix Tréguer, cofondateur de La Quadrature du Net.
References
↑1 | Mme Virginie KLÈS au Sénat et M. Sébastien DENAJA à l’Assemblée Nationale. |
---|---|
↑2 | Notamment Mme Benbassa (sénatrice ECOLO), Mme Bouchoux (sénatrice ECOLO), M. Coronado (député ECOLO), Mme Duby-Muller (députée UMP), Mme Massonneau (députée ECOLO) M. Molac (député ECOLO) Mme Pompili (députée ECOLO) M. Tardy (député UMP), et Mme de La Raudière (députée UMP). |
↑3 | Le rapporteur du texte pour la seconde lecture de l’Assemblée nationale a par exemple déclaré : « Le souci de lutter contre la diffusion de contenus illicites sur Internet ne peut justifier de modifier l’équilibre entre liberté d’expression et impératifs de sécurité au point de rendre impossible l’exercice par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs de la responsabilité que leur confie la loi. » |