Paris, 18 avril 2014 — Cette nuit, les sénateurs viennent d’adopter en seconde lecture le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes de Najat Vallaud-Belkacem. Plutôt que de supprimer les mesures de censure privée de ce texte, les sénateurs viennent d’en étendre la portée, risquant d’aggraver encore un peu plus les dérives de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Avant la prochaine et dernière lecture du texte à l’Assemblée nationale, il est maintenant urgent que les citoyens se mobilisent et appellent les députés à mettre en place des mesures permettant à la fois la lutte contre les propos haineux et la protection de la liberté d’expression.
Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre des Droits des Femmes
Malgré un amendement de suppression déposé par Mmes Benbassa, Bouchoux et les membres du Groupe écologiste – mais retiré sans être voté –, le Sénat vient d’adopter en seconde lecture les dispositions de l’article 17 du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Adopté en l’état, celui-ci modifierait le régime de responsabilité des intermédiaires techniques de l’Internet1La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), adoptée en 2004, oblige les hébergeurs à permettre aux internautes de leur signaler facilement les contenus relevant de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale, de la représentation de crime sexuel sur mineurs, de l’incitation à la violence – notamment de la violence faite aux femmes – ou des atteintes à la dignité humaine. pour élargir leurs missions de contrôle et de censure des communications aux propos haineux diffusés en ligne. Pire, un amendement de la rapporteure du texte Virginie Klès (SOC d’Ille-et-Vilaine), adopté en commission des lois, vient de réintroduire les images de violence à la liste des contenus concernés par la loi de confiance dans l’économie numérique (LCEN), alors que l’Assemblée nationale avait supprimé ce passage.
Comme l’a déjà dénoncé à de multiples reprises La Quadrature du Net, cette extension poursuivrait la transformation des hébergeurs et autres plateformes en ligne en police privée du Net, les incitant à censurer automatiquement tous les contenus signalés, qu’ils soient légaux ou non, sans l’intervention d’un juge. Alors qu’elle était encore députée, la secrétaire d’État au numérique Axelle Lemaire avait d’ailleurs bien compris le problème puisqu’elle avait déposé un amendement proposant la suppression de l’article 17 de ce projet de loi, avant d’accepter de le retirer sur demande de Najat Vallaud-Belkacem.
En vue de la prochaine et dernière étape du processus législatif à l’Assemblée nationale, il est urgent que les citoyens se mobilisent et appellent les députés à refuser l’instrumentalisation de la lutte contre les discriminations pour promouvoir un régime de censure contraire à l’État de droit. Plutôt que la censure privée, le législateur doit donner à la police et à la justice les moyens d’agir contre les abus auxquels le texte entend s’attaquer, comme le prévoit la proposition d’amendement de La Quadrature du Net.
« À nouveau, au nom de la lutte contre les discriminations, le Parlement vient de sanctuariser la privatisation de la censure déjà encouragée par la LCEN. Comme l’a déjà indiqué le Conseil Constitutionnel2Au terme de son examen de la LCEN en 2004, le Conseil constitutionnel considère qu’un hébergeur n’est pas responsable lorsqu »il stocke une information illicite « si celle-ci ne présente pas « manifestement » un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ». Le Conseil explique aux commentaires de cette décision que les hébergeurs ne doivent pas être responsables de tous les contenus dont ils ont connaissance car « la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste ». Les hébergeurs, n’ayant ni les compétences ni les moyens pour les caractériser, risquaient selon lui de censurer tout contenu signalé afin d’éviter toute insécurité juridique., le dispositif mis en place par cette loi comprend un risque inhérent de censure extra-judiciaire. Or, pour peu que l’on s’en donne les moyens, il existe des mesures alternatives plus proportionnées et respectueuses de l’État de droit. Lors du second et dernier examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, les députés auront l’opportunité de corriger ce projet de loi en amendant son article 17, comme l’avait d’ailleurs proposé la secrétaire d’État Axelle Lemaire lorsqu’elle était députée. Au-delà, et notamment à l’occasion du projet de loi numérique annoncé par le gouvernement, la LCEN doit être réformée pour que la France respecte pleinement le droit international attenant à la liberté d’expression » conclut Félix Tréguer, cofondateur de l’association La Quadrature du Net.
References
↑1 | La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), adoptée en 2004, oblige les hébergeurs à permettre aux internautes de leur signaler facilement les contenus relevant de l’apologie des crimes contre l’humanité, de l’incitation à la haine raciale, de la représentation de crime sexuel sur mineurs, de l’incitation à la violence – notamment de la violence faite aux femmes – ou des atteintes à la dignité humaine. |
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↑2 | Au terme de son examen de la LCEN en 2004, le Conseil constitutionnel considère qu’un hébergeur n’est pas responsable lorsqu »il stocke une information illicite « si celle-ci ne présente pas « manifestement » un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ». Le Conseil explique aux commentaires de cette décision que les hébergeurs ne doivent pas être responsables de tous les contenus dont ils ont connaissance car « la caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste ». Les hébergeurs, n’ayant ni les compétences ni les moyens pour les caractériser, risquaient selon lui de censurer tout contenu signalé afin d’éviter toute insécurité juridique. |