Tandis que les gouvernements européens sont à leur tour éclaboussés par les révélations d’Edward Snowden, les « petites mains » du réseau, elles, s’attellent à compliquer la tâche des agences de renseignement. […]
L’accumulation des révélations sur les divers programmes – Prism, Bullrun, Tempora et consorts – mis en place par l’Agence nationale de sécurité américaine et le GCHQ, son équivalent britannique, a donné un coup de fouet à ceux qui dénonçaient (parfois depuis fort longtemps) l’existence d’une surveillance massive et systémique. Pour ceux-là – ingénieurs, experts en sécurité informatique, activistes du logiciel libre, groupes de défense des libertés civiles sur Internet… –, l’heure n’est plus au constat, mais à la contre-offensive. […]
D’où la naissance de projets encore très expérimentaux, tel Bitmessage, lancé fin 2012 par le New-Yorkais Jonathan Warren pour répondre à l’épineuse difficulté des métadonnées (lors de l’envoi d’un e-mail, l’adresse de l’expéditeur, celle du destinataire et l’objet du message apparaissent toujours « en clair », même si le contenu est chiffré). […]
Encore un effort, donc, avant d’être mis à la portée de tout un chacun. D’autant, rappelle Benjamin Sonntag, l’un des cofondateurs de La Quadrature du Net, qu’il existe déjà de nombreux outils permettant de garder un peu (voire beaucoup) de vie privée en ligne – ces logiciels dits libres qui autorisent notamment l’accès au code source, seule garantie de pouvoir vérifier qu’ils n’ont pas été délibérément affaiblis. […]
L’initiative, en tout cas, soulève quelques espoirs : « C’est prometteur, assure Benjamin Sonntag, notamment parce que le code avance très vite. Ça commence à sérieusement ressembler à quelque chose. » […]
Reste que, pour beaucoup, les réponses techniques, si abouties soient-elles, ne suffiront pas à répondre au problème de la surveillance de masse. Benjamin Bayart, le président de la Fédération FDN, qui rassemble les fournisseurs d’accès à Internet associatifs en France, en viendrait presque à s’énerver quand on lui parle anonymat et chiffrement : « Ce qu’on est en train de dire, c’est qu’il faut se promener sur Internet en armure –et pas contre des gens qui voudraient vous voler votre code de carte bleue, mais pour se protéger des gouvernements. C’est tout de même un problème ! »
La « longue guerre » est aussi, et peut-être surtout, une affaire politique. Une question qui agite plus que jamais les communautés hackers. En témoigne, par exemple, le troisième chapitre de Cypherpunks (en français Menace sur nos libertés), ouvrage tiré d’un long entretien entre Julian Assange, l’Américain Jacob Appelbaum, l’un des architectes de Tor, l’Allemand Andy Müller-Maguhn, du Chaos Computer Club, et Jérémie Zimmermann, le porte-parole de La Quadrature du Net : l’Australien y fait clairement le deuil de toute possibilité de régulation démocratique (les « lois de l’homme ») et considère que le salut de nos vies privées repose désormais sur les algorithmes. […]
Dans une tribune plus récente, cette fois pour The Atlantic, Schneier écrit encore que « nous sommes au beau milieu d’une bataille épique pour le pouvoir dans le cyberespace ». Quant à l’issue envisagée, l’optimisme de l’action vient souvent réchauffer le pessimisme de l’analyse. Comme le dit en souriant Benjamin Bayart : « Internet, c’est une idée. Une fois que tu as lâché une idée comme ça, tu ne peux pas la défaire. Et à la fin, on gagne. Toute la question est de savoir si c’est dans vingt ans, ou si c’est dans un siècle. »
http://www.slate.fr/monde/79450/mission-reparer-votre-internet-casse-surveillance