Interview de Jérémie Zimmermann après la table ronde sur la neutralité du Net organisée par la ministre Fleur Pellerin, sur France Inter le 16 janvier 2013.
Durée : 4min 17s
JZ : On attendait une seule chose de cette table ronde, c’était une annonce concrète de mesures législatives de la part de la ministre Fleur Pellerin. On attendait que conformément aux engagements du candidat Hollande, et conformément aux recommandations de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée Nationale dans son rapport qui a maintenant deux ans, la ministre de l’Économie numérique s’engage à protéger la neutralité du Net par la loi, et nous avons, force est de le constater, été déçus, car tout cela a fait l’effet d’un pétard mouillé : la ministre a en fait annoncé qu’elle allait saisir une commission sur la question. Et fin de l’épisode.
Journaliste : Et ca n’est pas suffisant selon vous ?
JZ : Non ce n’est pas suffisant car tous les éléments sont sur la table : le rapport parlementaire des députées UMP et socialiste Laure de La Raudière et Corinne Erhel il y a deux ans, une proposition de loi par le député socialiste Christian Paul il y a plus d’un an, et les Pays-Bas et la Slovénie qui ont protégé la neutralité du Net dans la loi. Et là on nous annonce qu’on va saisir une commission pour se poser la question : c’est un petit peu faible. Au-delà des beaux discours, on veut de l’action, parce que, comme l’a montré l’événement de la semaine dernière de Free avec le blocage des pubs, la situation est alarmante. Ce sont tous les opérateurs télécoms en France aujourd’hui qui violent allégrement le principe de la neutralité du Net en restreignant et en contrôlant les communications de leurs utilisateurs. Il y a urgence à agir. Et je vais même vous dire : ce contraste entre des beaux discours sur la défense des libertés fondamentales et l’inaction coupable qui fait le jeu des opérateurs télécoms qui veulent restreindre les communications de leurs utilisateurs, ca fait trois ans que l’on voit ça à Bruxelles avec la Commissaire européenne Neelie Kroes en charge du dossier, qui parle qui parle mais n’agit pas. Sur ce dossier, l’inaction est coupable, car elle fait le jeu des opérateurs télécoms qui veulent restreindre nos communications sur Internet.
Journaliste : Vous avez l’impression justement que, actuellement, sur le Net, on laisse vraiment le champ libre aux opérateurs uniquement ?
JZ : Écoutez, nous avons lancé une plateforme citoyenne qui s’appelle RespectMyNet sur laquelle nous invitons les citoyens européens à dénoncer les entraves au principe de neutralité du Net, à savoir des restrictions et des priorisations des communications sur Internet, et on a plus de 180 cas qui ont été reportés et confirmés par des citoyens. Cela concerne plus de la moitié des États membres, cela concerne des dizaines d’opérateurs télécoms dans le monde. Il faut voir Internet comme une sorte de bien commun. Internet est un espace universel : si Internet apporte tant à nos sociétés et à nos économies, c’est bien parce que chacun a exactement les mêmes possibilités d’accéder à tous les contenus, services et applications, et que chacun a la possibilité de publier, de créer, d’innover, et d’entreprendre. Lorsque des acteurs économiques, quels qu’ils soient, se prennent de restreindre cette capacité universelle d’accès et de participation, il y a un problème majeur. Il y a un problème démocratique, il y a un problème pour la participation citoyenne, pour les libertés fondamentales, et également pour l’innovation et pour la libre concurrence.
Journaliste : Qu’est-ce que ca change concrètement pour les gens, en quoi c’est dangereux de menacer ce principe là ?
JZ : Un exemple très concret : sur vos forfaits dits « Internet mobile », il y a écrit en tout petit en bas du contrat : « vous avez accès à tout, sauf… » à des services de voix sur IP parce que ca embêterait les opérateurs télécoms que vous payiez vos communications beaucoup moins chères que ce qu’ils vous proposent, donc : sauf la voix sur IP, sauf les services peer-to-peer, sauf les services de vidéo… Vous avez dans ce cas précis un opérateur qui va décider de ce que vous pouvez faire ou ne pas faire sur Internet, comme dans le cas très médiatisé de Free qui choisit unilatéralement de bloquer les publicités pour tout le monde dans le cadre d’une négociation commerciale avec Google. On a donc les utilisateurs, et leur capacité à accéder à Internet ou à participer sur Internet, qui se retrouvent bridés, comme pris en otages, par des acteurs économiques qui sont les opérateurs télécoms, qui espèrent ainsi maximiser leurs revenus.
Journaliste : Est-ce qu’il y a d’autres pays qui ont pris des mesures pour faire entrer la neutralité du Net dans la loi, et comment ca marche du coup là-bas ?
JZ : Oui, le principe de neutralité du Net a été inscrit dans la loi dans au moins 4 pays aujourd’hui : le Chili, le Pérou, et en Europe : les Pays-Bas, et tout récemment la Slovénie. Alors, est-ce que la France s’est faite coiffer au poteau sur les promesses du candidat Hollande par la Slovénie ? Il semblerait que c’est ce que vient d’annoncer Fleur Pellerin, en ne prenant pas de mesure concrète pour inscrire la neutralité du Net dans la loi en France.
http://www.franceinter.fr/emission-sans-deconnecter-la-neutralite-du-net-une-table-ronde-pour-rien