Le rapporteur d’une directive au Parlement européen joue un rôle déterminant en seconde lecture. Il lui revient en effet de rechercher avec le Conseil de l’UE un compromis entre l’opinion exprimée par le Parlement en première lecture et la position commune adoptée par le Conseil. S’il y parvient, ce compromis aura toutes les chances de figurer dans le rapport qu’il fera voter en commission parlementaire, puis d’être voté en séance plénière par l’ensemble des eurodéputés. Ainsi la directive, fruit d’un consensus entre les deux organes législatifs, sera promulguée. Sinon, Conseil et Parlement devront s’accorder lors d’une troisième lecture : la phase de conciliation.
Ainsi, c’est à l’eurodéputée socialiste française Catherine Trautmann que revient cette lourde responsabilité sur la principale directive1Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (COD/2007/0247). du « paquet télécom », un ensemble de directives visant à réformer le cadre réglementaire des réseaux et services de communications électroniques dans l’Union européenne.
Première mi-temps : Parlement 1 – Riposte graduée 0
Au printemps 2008, des amendements menaçaient d’injecter dans ce paquet télécom, un dispositif que la France tente actuellement de légaliser via la loi « Création et Internet/HADOPI »2Voir le dossier complet de La Quadrature du Net sur ce projet de loi. : la « riposte graduée », autorisant les industries du divertissement à se livrer à des missions de police et les fournisseurs d’accès à sanctionner les internautes en suspendant leur connexion Internet, sans passer par l’autorité judiciaire. Face à cette menace et suite à une intense mobilisation des citoyens européens3Voir également la confirmation éclairée du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), l’autorité européenne indépendante en charge de la protection des données à caractère personnel., le Parlement européen avait adopté en première lecture, le 24 septembre 2008, un amendement disposant qu’« aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux [d’Internet] ne doit être prise sans décision préalable des autorités judiciaires », ce qui interdisait de fait toute suspension de l’accès à Internet sur simple décision administrative. Cet amendement 138, déposé par des eurodéputés de tous les groupes politiques4Dont Guy Bono (PSE), Daniel Cohn-Bendit (Verts), Zuzana Roithová (PPE), Michel Rocard (PSE), Marielle de Sarnez (ALDE), Christofer Fjellner (PPE), Rebecca Harms (Verts), Marco Cappato (ALDE), Jean-Luc Bennahmias (Verts), etc., rappelle un principe fondamental d’une démocratie respectant la séparation des pouvoirs et a été plébiscité par 88% des eurodéputés.
Deuxième mi-temps : balle au centre
Sous la forte pression de Nicolas Sarkozy, profitant alors de la présidence française de l’Union européenne fin novembre 2008, le Conseil de l’UE (ensemble des ministres des 27 États Membres) a catégoriquement refusé, sans aucune justification valable, de garder l’amendement 138 dans sa position commune. On se souvient également que, bafouant les attributions respectives des institutions de l’Union européenne, Sarkozy a même directement demandé au président de la Commission, Barroso, lors d’une réunion sur la crise bancaire en octobre 2008, le retrait de l’amendement 138. La Commission a logiquement refusé ce caprice du président français.
Match retour : un enjeu décisif
Pour la seconde lecture au Parlement européen, dont le vote en plénière est prévu pour le 5 mai 2009, la rapporteure Catherine Trautmann a tout naturellement souhaité redéposer l’amendement 138 − renommé en amendement 46 − puisqu’il avait été soutenu par une écrasante majorité du Parlement européen en première lecture. Cependant, alors que la loi instituant en France la riposte graduée subissait un retard inattendu, le Conseil a multiplié les pressions pour que Catherine Trautmann abandonne cet amendement en seconde lecture. Refusant à deux reprises les formulations de compromis proposées par la rapporteure, le Conseil a tout d’abord avancé une proposition suggérée par la France remplaçant toute référence à l’« autorité judiciaire » par le terme d’autorité « légalement compétente », ce qui vidait de sa substance l’esprit même de cet amendement en autorisant la riposte graduée à la française. Un tel retournement était bien entendu inacceptable pour la rapporteure du Parlement européen.
Une dernière réunion des diplomates du Conseil doit avoir lieu mardi 21 avril au matin alors qu’au Parlement européen, la commission à l’industrie (ITRE), en charge de la directive, doit se prononcer le soir même. Pour préparer ces réunions, le Conseil a finalement proposé qu’une reformulation de l’amendement figure dans un considérant de la directive et non plus dans un article. Ce changement est significatif, puisque seuls les articles des directives européennes ont obligation d’être transposés dans les législations nationales et ont donc force de loi, les considérants n’ayant qu’une valeur interprétative.
Or, le Parlement européen s’est déjà exprimé à deux reprises − trois en comptant le vote de l’amendement 138 en première lecture − contre le principe de riposte graduée : en votant le 10 avril 2008 un amendement au rapport sur les industries culturelles en Europe (rapport Bono) et le 26 mars dernier lors du vote du rapport sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet (rapport Lambrinidis). Mais ces deux initiatives parlementaires, si elles expriment résolument l’opinion du Parlement, ne sont pas juridiquement contraignantes, au contraire d’une directive. La seconde lecture du paquet télécom est donc l’occasion de joindre l’acte à la parole et de définitivement refuser en Europe le dispositif de la riposte graduée.
Tirs au but : le rapporteur gardien des européens
La rapporteure Catherine Trautmann a donc la lourde responsabilité de défendre mardi 21 avril à 20h00, en commission Industrie, TRansports, Energie (ITRE), une position reflétant l’opinion exprimée par le Parlement européen au nom des 500 millions de citoyens qu’il représente : l’amendement 138/46 original ou tout au moins une version conservant la notion de décision d’un tribunal préalablement à la sanction, et ceci dans un article de la directive. Au contraire, elle peut théoriquement choisir l’alternative d’abandonner cette défense et d’accepter − comme le souhaite le Conseil − une insignifiante position de principe reléguée dans un considérant, afin d’éviter la négociation en procédure de conciliation.
Ayons confiance qu’à un mois à peine des élections européennes de juin 2009, Catherine Trautmann saura défendre les droits fondamentaux − notamment la liberté d’expression, l’accès à l’information et à l’éducation, le droit à un procès équitable et le principe de séparation des pouvoirs − des citoyens européens. Ainsi, si le Conseil est prêt à sacrifier la réforme des télécommunication en Europe afin de refuser un rappel aux droits fondamentaux, le fait de devoir poursuivre en procédure de conciliation sera entièrement imputable au Conseil.
Dès lors, Catherine Trautmann aura démontré dans ce contexte électoral combien il est important de voter pour un Parlement fort, capable de défendre les citoyens européens.
References
↑1 | Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux et services de communications électroniques ainsi qu’à leur interconnexion, et 2002/20/CE relative à l’autorisation des réseaux et services de communications électroniques (COD/2007/0247). |
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↑2 | Voir le dossier complet de La Quadrature du Net sur ce projet de loi. |
↑3 | Voir également la confirmation éclairée du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), l’autorité européenne indépendante en charge de la protection des données à caractère personnel. |
↑4 | Dont Guy Bono (PSE), Daniel Cohn-Bendit (Verts), Zuzana Roithová (PPE), Michel Rocard (PSE), Marielle de Sarnez (ALDE), Christofer Fjellner (PPE), Rebecca Harms (Verts), Marco Cappato (ALDE), Jean-Luc Bennahmias (Verts), etc. |