Par Christian Paul, Député, ancien Ministre
Le temps des crises charrie le pire, mais anticipe aussi le monde qui vient. Le Parlement européen a jeté un utile pavé dans la mare, en affirmant «qu’aucune restriction à la liberté d’expression et d’information d’un citoyen ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire». C’est bien le moins dans un Etat de droit ! Confier à une police privée, puis à une autorité administrative (baptisée Hadopi) le contrôle des réseaux numériques pour préserver les intérêts des artistes est l’un des pires services à rendre au droit d’auteur. Les créateurs comme les producteurs seraient bien inspirés d’y regarder à deux fois. Par bonheur, se lève une génération d’artistes qui refuse de cautionner cette tentation liberticide, si éloignée de leurs pratiques et de leurs aspirations.
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Demain, des agents, certes assermentés, pourront analyser nos échanges afin de déterminer quels films, quelles chansons, quelles œuvres nous avons téléchargés ou mis à disposition. Le repérage de Bienvenue chez les ch’tis n’apportera probablement pas de grand enseignement sur nos passions et nos inclinations, mais que penser de celui de contenus politiques, philosophiques ou proposés à tel ou tel public averti? C’est un pas décisif vers une analyse comportementale poussée, un «profilage» sans précédent et sans garde-fous.
C’est la culture des «autres» qui est visée, de ceux qui ne rentrent pas dans le moule, et avec elle l’exception culturelle, qui est visée. En plus de leur culture, la vie des «autres» serait singulièrement compliquée par cette avant-première du profilage automatique des internautes. Le projet prévoit en effet ni plus ni moins que la suspension de l’accès internet des «déviants» récalcitrants: une perte d’identité numérique, une mort virtuelle…
Un des arguments clés des opposants à Edvige a reposé sur la disproportion du dispositif envisagé. Le but affiché par la loi «DADSVI bis» est ni plus ni moins que de sauver la culture en mettant un grand coup de frein, sinon d’arrêt, aux échanges «illégaux» d’œuvres en ligne. Pourtant, chaque année qui passe à construire d’illusoires lignes Maginot prive les artistes de solutions équilibrées, et de nouvelles rémunérations substantielles. Le dernier auteur de tels détournements de fonds n’est autre que Jean-François Copé, inventeur d’une taxe inédite sur les opérateurs de l’internet pour financer la télévision publique, alors que l’équité voudrait que la création musicale et audiovisuelle, qui nourrit les réseaux, en bénéficie largement.
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Les internautes qui souhaitent copier les chansons sur d’autres appareils sont invités à utiliser le système d’Amazon, qui leur permet de les télécharger en Mp3, sans avoir à supporter les aléas d’un dispositif technique de contrôle de l’usage, un de ces fameux «verrous techniques (DRM)» encensés il y a peu, désormais aux oubliettes.
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Au fond, cette stratégie maladroite ou cynique, rétrograde, permet aux leaders mondiaux de la production et de la diffusion d’établir des positions dominantes durables. Il est temps de rompre avec l’illusion sécuritaire, soutenue sans réserve depuis 2005 par l’actuel président de la République, d’abandonner une logique suicidaire qui ne profite qu’à certains intérêts très particuliers, au détriment des seuls acteurs incontournables de la culture: les artistes et le public.
La légalisation des échanges non-commerciaux des œuvres culturelles est inéluctable et souhaitable. C’est un fait de civilisation, un progrès à portée de main pour l’accès plus libre à la culture. Il revient aujourd’hui au Politique, en retard manifeste sur la société, de prendre ses responsabilités pour bâtir une régulation efficace et moderne, et pour rendre la révolution numérique profitable à tous.
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