Paris, le 30 octobre.
« Nous, socialistes, nous félicitons donc de ce projet de loi. », cette citation de la sénatrice Catherine Tasca résume l’approbation que la ministre de la culture, Christine Albanel, a reçu hier de la quasi totalité du Sénat sur le projet de loi « création et internet ».
Seuls le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Bruno Retailleau (non-inscrit), et la sénatrice des Verts, Alima Boumediene-Thiery (rattachée au groupe socialiste), ont dépeint avec justesse la problématique de la création culturelle à l’âge d’Internet, s’appuyant sur le principe de neutralité : « Les réseaux ne doivent pas avoir d’autorité sur les contenus. »
Mais ces quelques interventions courageuses n’auront pas eu d’impact sur les représentants des principaux partis politiques. Sous le regard approbateur des lobbyistes de la SACD, de Vivendi-Universal, du SNEP, etc., les représentants de tous les principaux partis politiques, entraînés par le rapporteur Thiollière et la sénatrice Tasca, ont collectivement exprimé une position conforme à celle des industries du divertissement. Il n’était question que « d’hémorragie à endiguer » et Internet n’était présenté que comme une « zone de non-droit », Far-West sans foi ni loi qu’il fallait impérativement contrôler.
Dès lors, toute cohérence pouvait être oubliée, tantôt le méchanisme de « riposte graduée » sanctionnait le défaut de protection de l’accès Internet, tantôt il s’ajoutait aux mesures pénales et civiles réprimant la contrefaçon. La ministre pouvait féliciter les sénateurs socialistes de déjuger d’un revers de main simpliste 88% du Parlement européen qui avait voté le 24 septembre dernier un amendement rappelant qu’aucune limitation aux droits et libertés fondamentaux ne peut être prise sans intervention de l’autorité judiciaire. Et Christine Albanel pouvait tenter de se convaincre elle-même que « ce n’est pas la loi des majors, pas des artistes les plus réputés, pas celle des multinationales ».
Et alors que tous les orateurs ont récité le texte qu’ils lisaient, le rapporteur pour avis Bruno Retailleau n’a pas eu besoin de note pour rappeler quelques vérités comme cette citation de Victor Hugo : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain. »
Mais les fondements du dispositif de « riposte graduée » n’ont nullement été critiqués, et tout laisse penser que le texte sera voté en l’état, le 5 novembre prochain. Il n’a nulle part été question d’apporter de rémunérations supplémentaires aux créateurs.
Ce spectacle navrant donna aux milliers d’internautes qui suivent attentivement le dossier une image pathétique de l’échiquier politique français : un parti socialiste aligné sur la position rétrograde du président Sarkozy. Au final, les citoyens auront pu observer des clivages qui ne suivent pas les lignes politiques habituelles mais plutôt la capacité des élus de vivre avec leur temps.