[Éditorial publié en anglais dans EDRI-gram n°68, une lettre électronique bimensuelle sur les droits civiques numériques en Europe de EDRI. Ce texte est sous licence Creative Commons Attribution 2.0. Voir le texte complet sur http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/
Contribution de Jérémie Zimmermann – La Quadrature du Net et Erik Josefsson – EDRi-member Electronic Frontier Foundation, traduction en français de Gérald Sédrati-Dinet]
Depuis la loi DADVSI, transposition française de la directive européenne sur le droit d’auteur, les internautes français font face à des menaces de répression disproportionnées en cas d’infractions au droit d’auteur. Le dernier plan manigancé par l’industrie du contenu contre les échanges non autorisés de musique et de films sur internet s’intitule « la riposte graduée ».
Le principe est simple : des infractions présumées répétées entraînent une coupure de l’accès à internet. L’internaute accusé d’infractions au droit d’auteur est repéré par un radar automatique et dénoncé par le détenteur des droits. Il reçoit alors une lettre l’avertissant qu’on pourrait lui couper son accès à internet. Dans les premières rédactions de ce plan, des amendes étaient envoyées automatiquement mais elles ont été ensuite remplacées par la coupure de l’accès à internet.
La proposition inclut également la création d’une autorité administrative responsable de la mise en oeuvre de la riposte graduée. Elle devra s’assurer que les internautes déconnectés ne puissent pas utiliser à nouveau internet avant une période donnée. Le projet reste flou sur la possibilité de faire appel en cas d’erreur, ainsi que sur l’éventualité que l’internaute puni soit également poursuivi au civil. Pour que les citoyens innocents ne soient pas inquiétés juridiquement, on propose comme solution de mettre en place des logiciels autorisés par l’État pour sécuriser les connexions internet.
Promue par le président Sarkozy, la riposte graduée s’est faite connaître en tant que principale mesure proposée par le rapport Olivennes. On pensait, jusqu’à récemment, qu’elle serait le socle des législations à venir, tant en France qu’en Europe. Mais ce n’est plus le cas depuis un vote du parlement européen le 10 avril 2008.
En totale opposition avec la solution française, le gouvernement suédois a rejeté un tel dispositif, le jugeant disproportionné. Les ministres suédois de la justice et de la culture ont conclu en mars 2008 que la mise en quarantaine d’internet, dans une société où les activités quotidiennes sont de plus en plus liés à l’environnement numérique, n’était pas une punition proportionnée au regard de l’infraction commise, particulièrement s’il n’y a pas intention de tirer un quelconque profit commercial. Il a été montré à de nombreuses reprises que la dissuasion, seule justification pour une telle sanction, s’avérait inefficace. Le gouvernement suédois a également souligné que les grands groupes détenant les droits sur les contenus ne devraient pas « utiliser les lois sur le droit d’auteur pour défendre leurs anciens modèles économiques » mais devraient s’efforcer de proposer davantage d’alternatives attractives aux services de partage non autorisé de fichiers.
Afin de mettre la décision politique du gouvernement suédois sur la table des discussions de l’Union européenne, et pour s’opposer aux plans de Sarkozy, l’eurodéputé Christofer Fjellner (Parti populaire européen, PPE) a lancé une initiative transpartisanne. L’ancien premier ministre français Michel Rocard (Parti socialiste européen, PSE) et l’eurodéputé Guy Bono (PSE), rapporteur pour la résolution du Parlement européen sur les industries culturelles, se sont joints à lui. Ensemble, ils ont signés avec plus de 90 autres eurodéputés, un amendement au rapport de Guy Bono qui rejette véritablement la riposte graduée.
Il « engage la Commission et les États membres à reconnaître qu’Internet est une vaste plate-forme pour l’expression culturelle, l’accès à la connaissance et la participation démocratique à la créativité européenne, créant des ponts entre générations dans la société de l’information, et, par conséquent, à éviter l’adoption de mesures allant à l’encontre des droits de l’homme, des droits civiques et des principes de proportionnalité, d’efficacité et d’effet dissuasif, telles que l’interruption de l’accès à Internet; »
Àprès son dépôt, le débat autour de cet amendement s’est intensifié et s’est complexifié lorsque le groupe libéral (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, ALDE) a demandé de manière inattendue à scinder l’amendement en deux parties destinées à être votées séparément, a priori afin de sauver la riposte graduée. La première partie, relative à internet, à l’importance des droits et au principe de proportionnalité a reçu un soutien écrasant, alors que la seconde partie, mentionnant explicitement « l’interruption de l’accès à internet » était plus difficile à défendre pour de nombreux eurodéputés français hésitant à s’opposer à la volonté explicite de leur propre gouvernement. Cependant, avec un vote serré sur la seconde partie, l’amendement a fini par être adopté dans son intégralité.
À la suite de la décision du Parlement européen, le ministre français de la culture, Mme Christine Albanel, a clairement annoncé son intention de maintenir la proposition Olivennes. Elle prévoit actuellement de la présenter au parlement français avant l’été. Au jour d’aujourd’hui, rien n’indique que Nicolas Sarkozy ait renoncé à étendre la riposte graduée au niveau européen durant la présidence française de l’Union européenne.
À Bruxelles, on ne sait pas non plus si l’initiative des eurodéputés Fjellner, Rocard et Bono aura un quelconque impact. Aucun d’entre eux ne figure parmi les orateurs de la prochaine conférence sur la contrefaçon et le piratage du 13 mai 2008, alors que des eurodéputés ayant voté en faveur de la riposte graduée interviendront. C’est une question d’intérêt public de garantir que le débat soit équilibré et que des responsables politiques représentant la position du Parlement européen puissent s’exprimer. Si ce n’était pas le cas, la conférence pourrait être très controversée.
Dans les médias et la blogosphère politique, l’impact du vote s’amplifie. Il est particulièrement intéressant de constater la corrélation entre les États membres qui ont une infrastructure internet développée et la manière dont les eurodéputés ont voté : les pays du Nord, très avancés en matière d’informatique, ont clairement rejeté la guillotine numérique française.
Amendement 1 de Christofer Fjellner et amendement 2 de Michel Rocard, Guy Bono et d’autres. Rapport sur les industries culturelles en Europe. Rapporteur Guy Bono (02/04/2008)
http://www.europarl.europa.eu/sce/data/amend_motions_texts/doc/P6_AMA(2008)0063(001-001)_EN.doc
http://www.europarl.europa.eu/sce/data/amend_motions_texts/doc/P6_AMA(2008)0063(002-002)_FR.doc
Conférence de haut niveau sur a contrefaçon (13/05/2008)
http://www.bordermeasures.com/spip.php?article123
Revue de presse
http://www.laquadrature.net/fr/revue-de-presse
L’ Parlement européen dit non au banissement d’Internet (10/04/2008)
http://sigfridinenglish.wordpress.com/2008/04/10/european-parliament-says-no-to-internet-ban/
Économie numérique : la tête ou la queue (20/04/2008)
http://www.laquadrature.net/fr/la-tete-ou-la-queue
Résultats du vote sur le rapport Bono
http://www.ffii.be/bono