Introduction
La Foire aux Questions (FAQ) qui suit présente le dispositif de riposte graduée à la mode Olivennes. Mais le projet de riposte graduée est plus ancien comme en témoigne la chronologie du dossier e-milices d’eucd.info.
Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’à la surveillance généralisée par des acteurs privés, vient s’ajouter la coupure d’accès internet par une autorité administrative.
Une analyse détaillée du dernier projet de loi prévoyant la riposte graduée est disponible ici
Qu’est ce que la riposte graduée ?
La riposte graduée est un projet de modification du droit français dont l’objectif est de permettre la tenue de campagnes de traque, d’avertissements et de répression de masse ciblant les internautes partageant sur internet de la musique et des films sans autorisation.
L’activité « traque » serait exercée par des sociétés privées qui balayeraient internet à grande échelle à la recherche d’infractions pénales les concernant. Lorsque les employés de ces sociétés supposeraient de telles infractions, ils informeraient une autorité administrative dite indépendante, sorte de guichet de dénonciations qui leur serait réservé.
Concrètement, il s’agit d’institutionnaliser en France des pratiques qui ont cours depuis plusieurs années aux États-Unis. Une différence fondamentale réside dans le fait que le dispositif est ici à la charge du contribuable alors qu’aux États-Unis, ce sont les industriels qui le financent. Une autre différence est qu’aux États-Unis, les internautes se voient proposer une transaction financière et non une coupure de leur abonnement internet. Enfin, de telles pratiques sont possibles aux États-Unis car le niveau de protection des données personnelles est bien moindre qu’en Europe.
En quoi la riposte graduée pose-t-elle problème ?
Ce dispositif est un non sens historique. Il est inacceptable sur le plan juridique et serait inefficace en pratique, dans la mesure où il n’empêcherait pas l’échange d’oeuvres numérisées entre particuliers. Il engendrerait par contre d’importants dommages collatéraux.
Un non sens historique
- Le gouvernement suédois a déjà fait savoir qu’il refusait d’instaurer la riposte graduée jugeant le dispositif disproportionné car revenant sur un droit impératif pour l’inclusion sociale (voir La Suède rejette la riposte graduée). Les ministres de la culture et la justice ont également souligné que le copyright ne devait pas être utilisé pour défendre de vieux modèles économiques ;
- La commission de la libération de la croissance présidée par Jacques Attali a rejeté également un tel dispositif
La mise en place de mécanismes de contrôle des usages individuels (filtrages généraux, dispositifs de surveillance des échanges) constituerait un frein majeur à la croissance dans ce secteur clé [le numérique]. Même sous le contrôle d’une autorité indépendante ou d’un juge, ces mécanismes introduiraient une surveillance de nature à porter atteinte au respect de la vie privée et aux libertés individuelles, tout à fait contraire aux exigences de la création et à la nature réelle de l’économie numérique. ; - Dans le cadre d’une consultation de la commission européenne, Les représentants de la société civile européenne ont également rejeté ce dispositif.
L’UFC Que Choisir a ainsi signalé que les conclusions de la mission dirigée en France par Monsieur Denis Olivennes ne sont ni innovantes, ni réalistes. Le Bureau Européen des Unions de consommateurs considère lui que cette approche est économiquement inouïe et disproportionnée. - Les fournisseurs d’accès ont aussi pour leur part alerté dans des commentaires communiqués au ministère de l’économie des risques économiques.
La suspension de l’accès des entreprises pourrait porter un préjudice économique très important à l’industrie française, en particulier pour les petites et moyennes entreprises mal sécurisées. Ceci se constate en matière de fraudes ou de spams (elles peuvent être victimes de corruption de leurs serveurs à des fins de phishing, d’envoi de spams). Une suspension ou résiliation d’accès pourrait entraîner pour ces dernières de lourdes pertes de chiffre d’affaires voire une cessation d’activité, et se trouverait de fait disproportionnée.
Sur le plan des principes, voici une liste non exhaustive de motifs rendant ce texte inacceptable :
- L’autorité judiciaire est la seule autorité dont l’indépendance vis à vis des pouvoirs executif et législatif est proclamée par la Constitution. L’autorité judicaire est aussi constitutionnellement la gardienne naturelle des libertés individuelles et des droits de la défense. Elle est la seule à pouvoir instruire et juger en matière pénale, activités respectivement du ressort du juge d’instruction et du juge du siège. Il n’y a aucune confusion possible avec une autorité administrative indépendante quant aux compétences en matière pénale.
- les mesures d’exception prévue pour les services de police luttant contre le terrorisme ne peuvent être étendues à la lutte contre l’échange non autorisé de musiques et de films. La dérogation permettant à l’anti-terrorisme d’accéder aux données de connexion sans contrôle de l’autorité judiciaire à des fins préventives est une mesure d’exception temporaire que le Conseil Constitutionnel a accepté car elle concernait des crimes parmi les plus réprimées du code pénal. Il n’y a aucune possibilité d’étendre cette mesures à une délinquance ne mettant pas en danger la sécurité nationale, qui plus est à des fins de répression par une autorité administrative indépendante. Ce serait une violation du principe de proportionnalité et du principe de séparation des pouvoirs.
- des sociétés privées n’ont pas à rechercher des infractions pénales sur internet : comme l’a rappelé le groupe article 29, équivalent de la CNIL au niveau européen, même si tout individu a naturellement le droit d’exploiter des données judiciaires dans le cadre de litiges le concernant, le principe ne va pas jusqu’à permettre l’examen approfondi, la collecte et la centralisation de données à caractère personnel par des tiers, y compris, notamment, la recherche systématique à grande échelle, comme le balayage d’internet ou la demande de communication de données personnelles détenues par d’autres acteurs, tels que les fournisseurs d’accès ou les contrôleurs des annuaires Whois. De telles enquêtes sont de la compétence des autorités judiciaires.
- il est impensable que la loi prévoie des peines automatiques : l’avant-projet Olivennes prévoit que l’autorité administrative coupera l’abonnement internet des internautes qu’elle accuse pour une durée déterminée. Or une telle coupure entraînant l’impossibilité d’exercer une liberté fondamentale, elle doit être adaptable par le juge en fonction des faits reprochés et de la situation de l’accusé. Cette obligation découle du principe de nécessité posé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
- La coupure d’un accès internet est une mesure manifestement disproportionnée au regard des objectifs : le gouvernement suédois a déjà rejeté le principe de riposte graduée sur cette base dans la mesure oùla coupure d’un abonnement à Internet est un sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l’accès à internet est un droit impératif pour l’inclusion sociale.Le gouvernement a donc décidé de ne pas suivre cette proposition.
- un relevé informatique n’est pas un élement de preuve suffisante : comme le signalait le professeur Jean Cedras, agregé de droit pénal et ancien avocat général à la Cour de cassation, dans un rapport que le ministère de la culture a tenter d’enterrer, quelles qu’en soient l’ampleur ou la gravité, l’imputabilité des actes à un internaute particulier, condition essentielle de sa responsabilité pénale ou civile, est impossible à établir sans la visite de son disque dur. L’idée d’une réponse graduée automatique, aussi séduisante qu’elle ait pu apparaître, doit donc être abandonnée.
Sur le plan de l’efficacité
- les internautes qui partagent utiliseront des outils plus discrets
- la fragilité juridique du dispositif sera rapidement exploité
- les artistes ne toucheront pas un centime de plus
- l’acceptabilité d’une loi aussi disproportionnée sera nulle également et affaiblira celle du droit d’auteur. Comme disait Montesquieu citant Portalis : il ne faut point de lois inutiles, elles affaiblissent les lois nécessaires
Sur le plan des dommages « collatéraux »
- le coût financier de l’autorité serait exhorbitant
- un frein conséquent serait posé au développement de l’internet sans fil
- l’activité des entreprises sera impacté
- l’activité des points d’accès publics sera impacté
- les pratiques de contournement pourrait encombrer la justice
- les pratiques de contournement pourrait impliquer des innocents : individus, entreprises et collectivités
- la concurrence sera faussée, l’innovation freinée&nbs, la confiance dans l’économie numérique affaiblie ;
- le coût de l’accès à internet sera plus élevé
- l’image du politique sera impacté auprès des citoyens
- l’image des industries culturelles sera impacté auprès du public
- l’image des fournisseurs d’accès français sera impacté auprès des abonnés
- l’image de la France sera impacté à l’international : Rien ne serait pire pour l’image de la France que de chercher à étendre pendant la présidence de l’Union Européenne des mesures radicales adoptées en urgence en France et qui sont loin de faire l’unanimité. Elle deviendrait pour toutes les associations de défense des libertés le pays européen en pointe en matière d’atteinte aux droits fondamentaux sur Internet.
Plus d’informations
Interview PCInpact, Christophe Espern : la loi Olivennes est un texte extrémiste.