Paris, le 23 novembre 2015 — Les tueries perpétrées à Paris et Saint-Denis dans la soirée du 13 novembre représentent un choc immense. Après le chagrin et le deuil, chacun d’entre nous tente de faire sens de l’incroyable violence de cet événement et de ce qu’il nous rappelle sur l’état du monde.
Cependant, face à cette situation, les postures étroitement belliqueuses et autoritaires adoptées par le gouvernement et la quasi-totalité de la classe politique nous apparaissent comme profondément inadéquates.
Ne nous y trompons pas : ni la guerre, ni l’État policier instauré par la loi sur l’état d’urgence ne sauraient nous protéger d’une telle folie meurtrière. L’échec patent des « guerres contre le terrorisme » et des multiples lois sécuritaires adoptées depuis quinze ans devrait pourtant nous servir de leçons. En s’interdisant de réfléchir sereinement à l’ensemble des causes de ces crimes atroces, de comprendre comment combiner l’action pour la sécurité dans le respects des droits fondamentaux et la consolidation de notre tissu social, nous sommes certains de sacrifier à la fois notre liberté et notre sécurité.
Or, malgré la montée de violences toujours plus graves, l’exécutif a systématiquement bloqué les efforts pour enquêter sur les causes des failles de sécurité et n’a qu’une réponse : « cela n’a pas marché, alors allons encore plus loin dans le sens d’une société de surveillance et de suspicion ». Le vote quasi-unanime du projet de loi relatif à l’extension de l’état d’urgence témoigne à cet égard d’un profond malaise démocratique indigne de la France. Les lois d’exception et la Constitution peuvent-elles être changées à la guise du pouvoir exécutif lorsque ce dernier considère qu’il n’a plus besoin d’un contre-pouvoir, le pouvoir judiciaire ?
Aujourd’hui, à l’heure où malgré de probables doutes même en son sein- le gouvernement se croit obligé de « réagir » à de tels événements par de nouvelles « lois d’exception », nous craignons que les chocs qui secouent notre société ne la conduisent en dehors du cercle démocratique.
Pour rompre cette spirale délétère qui remet en cause le vivre-ensemble et l’essence même de la démocratie, ces attentats appellent une réaction politique qui réponde à ces crimes, capable de conjurer à la fois la « guerre de civilisation » et l’affrontement civil interne à nos sociétés. C’est la condition de la paix et de la survie de l’idée démocratique. C’est aussi la meilleure façon d’honorer la mémoire de tous ceux qui sont morts.
Afin d’y parvenir, nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire en charge de conduire une investigation ouverte et transparente sur les attentats et sur les lois relatives à la lutte contre le terrorisme et au renseignement qui ont été votées ces 3 dernières années. La commission devra conduire un examen minutieux des politiques et dysfonctionnements qui ont pu contribuer, ou qui n’ont pas su empêcher, la commission de ces attentats.
Toutes les causes de la montée des violences et du fiasco des réponses sécuritaires devront pouvoir être étudiées, chacune dans sa propre échelle de temps : de la politique de renseignements aux engagements diplomatiques militaires et commerciaux de la France et de ses alliés, en passant par les multiples crises qui traversent la société française et qui alimentent le phénomène encore mal compris de la radicalisation. Ces débats devront se tenir dans la plus grande transparence vis-à-vis de la société civile et des citoyens eux-mêmes, pour se nourrir de leurs expertises et de leurs expressions.
L’enjeu est vital : il ne s’agit rien moins que d’être fidèle à notre République : « liberté, égalité, fraternité »