Méfiez-vous des contrefaçons !

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Alors que l’absurdité de la guerre au partage sur Internet atteint de nouveaux sommets, les approches constructives des droits du public et du financement de la création suscitent attention et convoitises. De nouveaux risques apparaissent : de faux financements mutualisés, sans droits pour le public, sans reconnaissance du droit essentiel des œuvres libres au financement et à la rémunération, sans garantie pour la diversité culturelle et sans une nouvelle gouvernance démocratique de la répartition. La Quadrature du Net vous aide à distinguer les propositions porteuses de libertés et de développement de la création de leurs contrefaçons.

Alors qu’ils refusaient de discuter des financements mutualisés, cela fait des années que les penseurs patentés des industries culturelles ont conçu un scénario qui les fait rêver : une taxe sur les fournisseurs d’accès sans reconnaissance des droits pour les internautes. Un transfert dans la chaîne de valeur ajoutée dont ils oublient seulement de préciser que la source de ce transfert sera le budget des individus et des ménages. Dans ce scénario, on continuera bien sûr la guerre au partage avec les guérillas d’intimidation qui l’accompagnent, l’infinie trajectoire vers le bas pour sauver la rareté des copies des œuvres. Ce scénario noir est un risque réel, il est un des horizons possibles des états généraux de la création et des industries culturelles annoncés par le président de la République et le ministre de la culture. Mais d’autres contrefaçons des financements mutualisés servant les capacités du public et la création vont apparaître. Voici quelques conseils pour faire le tri :

  • Quels droits pour le public ?
    Contribution créative, mécénat global, participation à la production de contenus sur Internet, Kulturflatrate en Allemagne, licenze colletive estese en Italie : tous ces mécanismes proposent un pacte social qui associe reconnaissance des droits du public à partager les œuvres numériques hors marché et contribution de celui-ci au financement et à la rémunération de la création. Si vous voyez apparaître des propositions qui laissent dans l’ombre ou rejettent les droits des internautes à échanger entre eux hors marché les œuvres numériques, vous avez affaire à des contrefaçons de mauvaise qualité. Si vous entendez parler de taxes sur les profits des FAI, de plateformes de téléchargement autorisées, méfiez-vous, ceux qui payent ont les droits et ils s’en serviront pour leurs intérêts, pas pour ceux du public, ni pour ceux de la création. En particulier, si seul le téléchargement sur des sites désignés (gérés par les FAI ou d’autres intermédiaires) était autorisé, comme le proposent certains acteurs de la gestion collective, la non-reconnaissance des droits du public ferait peser sur lui la menace d’une répression continue et l’empêcherait de contribuer à la diversité culturelle.
  • Les droits des œuvres libres sont-ils reconnus ?
    Le partage volontaire des œuvres numériques est le laboratoire du développement d’une sphère non-marchande d’échange et de coopération, l’incubateur de nouvelles formes d’art et d’accès à la culture. Les propositions de financements mutualisés peuvent être vues comme instituant l’équivalent des licences Creative Commons NC-ND (pas d’utilisation commerciale, pas de modifications) comme un plancher des droits du public. Il serait révoltant que ceux qui ont préfiguré ce développement ne soient pas les premiers bénéficiaires de sa reconnaissance. Si des garanties explicites ne sont pas apportées sur le fait que le bénéfice de la rémunération et du financement soit accordé à tous les créateurs (auteurs, interprètes et autres contributeurs), en particulier ceux qui ont déjà fait le choix de la diffusion libre, vous avez affaire à des produits frelatés.
  • Les nouveaux médias de la sphère numérique bénéficient-ils du financement, où est-il réservé aux industries culturelles en place ?
    Le futur de la création est dans un espace mixte, où des activités dans le monde du face à face, de l’espace public, des lieux culturels seront en synergie avec celles qui se développent dans l’espace numérique. Ce serait un vrai hold-up du passé sur le futur si l’on prétendait réserver aux industries de la distribution culturelle de masse le bénéfice de la rémunération et du financement institué par les nouveaux mécanismes. Les nouvelles expressions et médias natifs d’internet et des technologies de l’information doivent y avoir accès de plein droit. Les formes de soutien à l’environnement de la création devront être adaptées aux besoins de ces nouveaux médias (blogs, médias collaboratifs, photographie numérique), et la part attribuée aux différents médias doit évoluer dans le temps pour refléter leur croissance.
  • Une gouvernance démocratique de la répartition, avec un vrai pouvoir du public à contribuer à sa justice, est-elle mise en place ?
    Tout ne sera qu’illusion si des garanties n’existent pas sur la gouvernance démocratique des nouveaux mécanismes. Cela suppose par exemple que les éléments clés que sont l’élaboration de clés de répartition (sur la base des usages ou de préférences selon les propositions) et les choix de répartition entre les divers médias soient confiées à des organismes indépendants, transparents et soumis à la double évaluation de l’État et du public. La distribution aux bénéficiaires des sommes correspondant à la rémunération (sur la base des clés produites par ces organismes indépendants) fera l’objet d’une gestion collective, dont la gouvernance elle-même devra être réformée pour permettre aux créateurs (membres ou non-membres des sociétés de gestion) et au public de suivre et évaluer cette répartition.

Le temps va venir où chacun va devoir peser pour que les nouveaux financements respectent les libertés du public, financent équitablement l’ensemble de l’écosystème créatif et que leur gouvernance soit transparente : dès à présent, méfiez-vous des contrefaçons !