Bruxelles, 30 mai 2012 – Dans la première étude officielle sur les restrictions d’accès Internet imposées par les opérateurs télécoms, les régulateurs européens des communications de l’Union Européenne (BEREC) dépeignent une situation très préoccupante. Internet tel que nous le connaissons est menacé, et la réticence de la Commission européenne à agir dans ce domaine est totalement irresponsable. À l’image des Pays-Bas, où le Parlement a adopté une loi sur la Neutralité du Net au début du mois de mai, l’Union européenne doit inscrire la Neutralité du Net dans sa législation.
Avec cette étude du BEREC1Les régulateurs nationaux des télécoms sont regroupés au niveau européen au sein de l’office des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE en français), sur la gestion du trafic et les restrictions d’accès à Internet récemment publiée, les législateurs européens disposent à présent de la preuve que la situation requiert une action résolue. La politique poussée depuis 2009 par la Commission, qui repose sur une foi aveugle dans la compétition et la transparence sur les pratiques des opérateurs, a clairement montré ses limites.
« Comme le démontre clairement cette étude du BEREC, les opérateurs restreignent de plus en plus les communications de leurs abonnés. Certains ports ou protocoles font l’objet de blocages injustifiés, et les services de certains partenaires des opérateurs sont privilégiés au détriment du reste d’Internet. À cause de ces discriminations, le Net est fragmenté et les innovateurs en tous genres entravés, alors même que les grosses entreprises américaines telles que Google et Facebook passent des accords avec les fournisseurs d’accès. Dans ce contexte, la politique de transparence portée par la Commission européenne revient à accorder un blanc-seing à ces pratiques. », a déclaré Jérémie Zimmermann, co-fondateur et porte-parole de La Quadrature du Net.
Réagissant à cette étude du BEREC, Neelies Kroes a reconnu l’existence du problème, notamment en ce qui concerne l’utilisation de technologies intrusives pour surveiller le trafic Internet des utilisateurs. Elle a également renouvelé ses propositions de l’année dernière pour rendre plus transparentes les restrictions appliquées par les fournisseurs, et permettre aux consommateurs d’en changer plus facilement. Toutefois, comme l’a souligné La Quadrature à de nombreuses reprises au cours des dernières années, cette approche est insuffisante2Les régulateurs européens ont déjà exercé des pressions sur les opérateurs au sein de groupes de travail et de recommandations, et prévu une action coordonnée au niveau européen par l’intermédiaire du BEREC. Mais des démarches en cours, en particulier en France, montrent que les outils réglementaires existants sont insuffisants pour protéger un Internet libre et neutre. L’ARCEP, le régulateur français, a ainsi mis en place deux groupes de travail au cours des derniers mois : un sur la qualité de service, et un autre sur la transparence. Ce dernier montre l’inquiétante faiblesse du pouvoir de régulation des autorités publiques pour remédier à ces pratiques, bien qu’ils comprennent souvent la necéssité de protéger la neutralité du réseau.. Si la Commission souhaite réellement protéger les droits fondamentaux en ligne et encourager l’investissement dans les réseaux3D’après Kroes, les limitations des quantités de donnéees téléchargées « fournissent une incitation pour faire payer les volumes des données en fonction des coûts » (traduction par nos soins). De telles affirmations sont pourtant contredites par les études sur le prix de la bande passante. Voir http://www.pingzine.com/global-bandwidth-costs-decreasing/ et http://arstechnica.com/tech-policy/2011/03/att-officially-announces-data-caps-wont-talk-about-congestion/ Comme pour la régulation de l’itinérance, la Commission doit protéger les consommateurs contre les modèles économiques préjudiciables., elle doit proposer de légiférer sur le sujet et garantir juridiquement la neutralité d’Internet.
« Même si les propositions de la commissaire européenne Nellie Kroes font référence au principe fondateur de la Neutralité du Net, elles n’auront aucun effet si elles ne se traduisent pas par une action résolue. La Neutralité du Net doit être inscrite dans la législation européenne, et fournir un cadre strict ouvrant la voie à une régulation adaptée et efficace. Comme Mme Kroes le rappelle timidement, il faut effectivement empêcher les opérateurs d’utiliser le terme « Internet » s’ils bloquent, restreignent, ou différencient certains services ou applications. Les pratiques de gestion de trafic invasives pour la vie privée doivent elles aussi être interdites. Tous les éléments sont sur la table, il est maintenant temps de passer aux actes. » conclut Zimmermann.
L’absence de volonté de la part de la Commission pour garantir la Neutralité du Net démontre que le Parlement européen et les législateurs nationaux auront un rôle majeur à jouer dans la mise en place de mesures significatives au cours des mois à venir. Les citoyens auront également un rôle-clé.
Le BEREC ouvrira une consultation sur divers guides de bonnes pratiques en rapport avec les résultats de son étude sur la gestion de trafic. La date limite pour y répondre est fixée au 31 juillet 2012.
Chronologie de la Neutralité du Net en Europe
- 13 mars 2012 – Le BEREC publie une étude préliminaire faisant état de violations du principe de Neutralité du Net dans toute l’Europe. La Quadrature du Net avait répondu (lien en anglais) à la consultation du BEREC, sur la base des constations rapportées sur la plateforme RespectMyNet.
- 13 décembre 2011 – Les États membres de l’Union européenne adoptent des conclusions soulignant la nécessité de « préserver l’aspect neutre et ouvert d’Internet, et considérer la Neutralité du Net comme un objectif politique ».
- 17 novembre 2011 – Le Parlement européen adopte une résolution appellant la Commission à évaluer rapidement le besoin d’une nouvelle régulation.
- 7 octobre 2011 – Dans un avis explosif sur la Neutralité du Net, le Contrôleur Européen à la Protection des Données (CEPD) souligne que les restrictions d’accès à Internet menacent inévitablement la vie privée.
- 22 septembre 2001 – La Quadrature et Bits of Freedom lancent RespectMyNet.eu, une plateforme permettant aux citoyens de mettre en évidence les restrictions d’accès imposées par les opérateurs.
- 19 avril 2011 – La Commission publie un rapport extrêmement décevant sur la Neutralité du Net.
Éléments essentiels de l’étude du BEREC
(traduction par nos soins)
- Des exemples de traitements différenciés pour le trafic excessif rapportés pour les opérateurs fixes, tels que la priorisation de certains types de trafics ou d’applications aux heures d’affluence (tels que le HTTP, le DNS, la VoIP, le jeu online, la messagerie instantanée, etc.). Pour le réseau mobile, nous constatons des cas où des applications ou des sites web ne sont pas comptabilisés dans la limite mensuelle des données (trafic http, portails de services clients ou applications telles que Facebook.).
- En ce qui concernce le P2P, des restrictions à diverses échelles sont rapportées pour 49 opérateurs de réseau fixe (sur 266) et pour 41 opérateurs de réseau mobile (sur 115). En ce qui concerne la VOiP, des restrictions à diverses échelles sont rapportées pour 28 opérateurs de réseau mobile (sur 115). Au moins 20% des abonnés sont concernés par de telles restrictions.
- De nombreux opérateurs justifient la mise en œuvre de ces mesures de gestion du trafic par la nécessité de gérer les épisodes de congestion. Les fournisseurs de réseaux IP modernes ont toujours eu recours à des pratiques de gestion de la congestion au sein de leurs propres réseaux.
Ces techniques varient de pratiques traitant tous les types de trafic sans discrimination (généralement désignées par le terme « fair sharing », ou des méthodes similaires) à des pratiques ne restreignant et/ou ne bloquant que certaines applications (typiquement en utilisant des technologies d’inspection des paquets).- Environ un tiers des opérateurs de réseau fixes indiquent dans leurs réponses que des services spécialisés (ou service « gérés ») affectent, dans une certaine mesure, le service « best-effort » des utilisateurs se connectant au même réseau.
References
↑1 | Les régulateurs nationaux des télécoms sont regroupés au niveau européen au sein de l’office des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE en français) |
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↑2 | Les régulateurs européens ont déjà exercé des pressions sur les opérateurs au sein de groupes de travail et de recommandations, et prévu une action coordonnée au niveau européen par l’intermédiaire du BEREC. Mais des démarches en cours, en particulier en France, montrent que les outils réglementaires existants sont insuffisants pour protéger un Internet libre et neutre. L’ARCEP, le régulateur français, a ainsi mis en place deux groupes de travail au cours des derniers mois : un sur la qualité de service, et un autre sur la transparence. Ce dernier montre l’inquiétante faiblesse du pouvoir de régulation des autorités publiques pour remédier à ces pratiques, bien qu’ils comprennent souvent la necéssité de protéger la neutralité du réseau. |
↑3 | D’après Kroes, les limitations des quantités de donnéees téléchargées « fournissent une incitation pour faire payer les volumes des données en fonction des coûts » (traduction par nos soins). De telles affirmations sont pourtant contredites par les études sur le prix de la bande passante. Voir http://www.pingzine.com/global-bandwidth-costs-decreasing/ et http://arstechnica.com/tech-policy/2011/03/att-officially-announces-data-caps-wont-talk-about-congestion/ Comme pour la régulation de l’itinérance, la Commission doit protéger les consommateurs contre les modèles économiques préjudiciables. |