Le débat parlementaire sur le projet de loi HADOPI 2 est l’occasion pour de nombreux défenseurs de la « riposte graduée » de faire état d’une vision rétrograde d’Internet. Outre les pressions politiciennes d’un gouvernement souhaitant mettre aux ordres sa majorité parlementaire, c’est cette incompréhension majeure des réalités technologiques qui explique que certains députés défendent envers et contre tout un dispositif mettant en cause les libertés fondamentales.
Lors de la discussion générale sur le projet de loi HADOPI 2, le ministre de la Culture s’est livré à une défense lyrique des auteurs. Malheureusement, Frédéric Mitterrand se trompe de débat. En effet, le texte examiné ces jours-ci par l’Assemblée nationale ne vise pas à protéger le droit d’auteur mais perpétue une vision extrémiste de la propriété littéraire et artistique. C’est cette vision qui est remise en cause par le partage d’œuvres sur Internet, malgré son enracinement dans le droit international, européen et national après des décennies d’intense lobbying de la part des industries du divertissement. Internet offre la possibilité d’approfondir les droits culturels des citoyens dans l’utilisation des œuvres, en démocratisant une économie de la culture aujourd’hui verrouillée par une poignée d’entreprises d’envergure mondiale. Ces dernières exercent un contrôle draconien sur la circulation des œuvres culturelles qu’elles produisent, empêchant leur partage et leur réutilisation dans un cadre non-commercial. Or, ces œuvres jouent un rôle fondamental dans nos représentations collectives, et donc dans le fonctionnement démocratique de nos sociétés. Aussi est-il essentiel que le public puisse se livrer librement à ces nouveaux usages émancipateurs rendus possible par l’évolution des techniques, tout en contribuant au financement de la création. Malheureusement, le gouvernement et ses soutiens au Parlement ignorent délibérément l’intérêt général, qui voudrait en l’occurrence que les droits du public soient étendus pour couvrir ces nouvelles pratiques. Tout au contraire, ces usages sont sacrifiés au bénéfice de puissantes entreprises incapables de s’adapter à la nouvelle donne culturelle.
Le ministre de la Culture a également fait état d’une conception réactionnaire d’Internet, en le comparant aux médias traditionnels : « Chaque nouveau média crée une utopie sociale nouvelle. Il s’agit de la réglementer1 ». Par ces déclarations méprisantes, il ignore les spécificités fondamentales de cette technologie de communication en réseau. Les médias traditionnels – peu à peu tombés sous le contrôle d’un nombre réduit d’entreprises – n’ont jamais permis que la transmission unidirectionnelle d’un message. Or, grâce à Internet, chaque individu peut désormais être à la fois consommateur, distributeur et producteur de biens informationnels. Internet est donc une technologie qui sert la diffusion de la connaissance et le progrès démocratique, à condition d’en respecter le principe originel qu’est la libre circulation de l’information. C’est l’enjeu fondamental de ce débat sur la répression du partage des œuvres culturelles sur Internet, et la raison pour laquelle le projet gouvernemental est fondamentalement achaïque et dangereux.
Non content de son incapacité à saisir ces enjeux, le gouvernement n’hésite pas à mettre en cause les libertés fondamentales afin de maintenir le statu quo en défendant une conception extrémiste du droit d’auteur. Il s’acharne ainsi à instaurer une peine de suspension de l’accès Internet prononcée au cours d’une procédure expéditive, alors que le Conseil constitutionnel a estimé qu’elle était privative de liberté. Ce précédent offrira au pouvoir exécutif la possibilité de prévoir cette sanction pour d’autres infractions, et de bannir les citoyens d’un espace de liberté et d’innovation qui est insupportable pour les promoteurs de l’HADOPI.